jeudi 28 janvier 2010

Alix est mort

Alix n’est certes pas la Bande dessinée francophone la plus lue ici, mais elle y est traduite et diffusée. La mort, la semaine passée, de son auteur, Jacques Martin, n’a pas suscité les mêmes échos que les cinquante ans d’Asterix. Mais voilà, avec cette disparition, c’est une passion de ma jeunesse qui s’en va. Alix est une des premières série que j’ai lues, tout enfant et celle qui, avec Blake et Mortimer, m’accrocha alors le plus. Je me suis toujours demandé si elle n’avait pas joué un rôle dans mon choix de faire de l’histoire, l’histoire de l’Antiquité, sans pouvoir bien sûr y répondre.

J’ai donc beaucoup lu, beaucoup acheté, énormément relu. Aujourd’hui encore cette série garde pour moi beaucoup de charme. Le choix de l’époque est pour beaucoup dans le succès de la série : la lutte entre César et Pompée, à l’échelle de la Méditerranée, offre un répertoire presque inépuisable de situations mouvementées. Jacques Martin a sans doute beaucoup lu, il s’est beaucoup documenté et c’est un dessinateur sérieux. Naturellement, aujourd’hui, je vois les défauts, les bévues, les erreurs grossières, les impossibilités, etc. Mais il y a en a moins que dans d’autres BD dites historiques. Le dessin est à coup sûr académique et il s’est rigidifié, au moins dès les années 1980 ; cela en devenait au fil du temps de plus en plus gênant. Les dessinateurs que dû engager Martin, devenu aveugle, ces dernières années, étaient encore moins à la hauteur et le caricaturaient. Mais ce dessin s’associait bien avec le sérieux de l’affaire : Alix n’est pas une pochade. Ce sont des petits romans d’aventure populaire. Martin avait le sens du récit, du rebondissement. Ses meilleurs albums étaient de véritables tragédies. C’est sans doute les histoires qui ont fait d’Alix une BD si populaire. Je parierais qu’elles lui permettront de se vendre bien longtemps après la mort de Martin. Au fond, une bonne BD, c’est avant tout une bonne histoire. On passera alors sur l’académisme du dessin, sur le conformisme de certaines situation, sur l’absence, au moins au début, des femmes comme personnages centraux, etc.

Sur ce dernier point l’explication est bien plus simple que la rumeur ne le veut : Alix paraissait dans le journal Tintin, une publication « pour la jeunesse » comme on disait alors. Dans ces journaux-là, on dessinait pas de jeunes femmes, et encore moins de jeunes femmes nouant une relation sentimentale avec un jeune homme. On flanque donc le héros masculin d’un autre compagnon masculin, ici Enak. Mais cela permis à nombre de jeunes gays de fantasmer sur la relation Alix-Enak. Pour ma part, j’aurais volontiers été très vite débarrassé du boulet Enak, ado geignard et maladroit qui semble n’être là que pour faire capoter les plans d’Alix. Mais laisse tomber ce nunuche et va courir l’aventure ailleurs !


Ce qui faisait la qualité d’Alix, le scénario, est devenu sa faiblesse depuis 20 ans environ. Les derniers albums d’Alix, de même que les séries parallèles, comme Orion, étaient tous plus catastrophiques les uns que les autres. Cela vous tombait des mains. On se demandait comment Martin a pu produire des histoires aussi faibles, voire, assez souvent, idiotes. La vieillesse peut être un naufrage également pour l’esprit et il aurait sans doute fallu s’arrêter. Pour moi, ce n’était plus Alix. Mais cette fois-ci, il est vraiment mort.

mercredi 20 janvier 2010

La vérité nue


Les Allemands prennent soin de leur corps, c’est une banalité qui se vérifie bien en dehors des pistes cyclables. Le maître-mot est la Wellness – le vocabulaire allemand est dans ce domaine comme dans d’autres colonisé par l’anglais. On ne compte donc plus les piscines ou les salles de sport et les occasions d’activités sportives. Les piscines sont à peu près toujours munies de saunas : ce sont en réalité de véritables établissements thermaux. On en trouve une bonne dizaine à Munich même. Les plus beaux sont les Müllers Volskbad, un gros bâtiment art nouveau construit au bord de l’Isar par un mécène il y a environ un siècle. Bien rénovés, ils font penser aux bains romains, qui en ont été les inspirateurs.

Entraîné par un ami amateur de ces établissements et par la curiosité, je me suis risqué à visiter l’endroit, après un après-midi de travail. Ces bains sont en effet magnifiques, même si le style art nouveau est limité à quelques volutes, au fond assez sobres. On dispose d’un casier, dans des vestiaires collectifs et mixtes, à moins de payer un supplément pour bénéficier d’une «cabine calme». La règle est la nudité absolue : aucun maillot de bain. On peut bien sûr circuler avec une serviette sur les hanches ou un peignoir sur le dos, mais il faut bien l’ôter pour aller dans les bains. Tout s’organise autour d’une salle circulaire, à laquelle on accède après être passé par les douches (vue panoramique ici). Au centre, un bain rond, de température normale, où l’on va régulièrement se réfugier. Autour, douches fraîche ou froide, un bain froid pour accélérer la circulation et l’accès à d’autres salles, chaudes : trois salles de chaleur sèche, 40, 60 et 80°, une pièce où est injectée de la vapeur humide et où l’on ne fait que deviner ses voisins, dans une ambiance un peu fantomatique, et enfin un sauna. Ce dernier est une petite salle lambrissée, où l’on s’assied sur des marches en bois. En silence. Un(e) employé(e) des bains vient de temps à autre au milieu de ces nus assis : puisant avec une grosse spatule en bois dans un seau, elle ou il répand une solution d’huile essentielle sur le pierres chaudes et la diffuse à coups de serviette dans l’atmosphère. Nous inhalons, mais nous sommes dans l’inhalateur. En sortant, je me suis demandé comment on peut être Finnois : on sue dans le sauna, mais on sue surtout l’ennui. Les autres salles sont plus distrayantes et variées ; on peut au moins y parler.
On pourrait croire que la pudeur serait mise à rude épreuve et que l’on passerait ici son temps à s’observer. En réalité, les gens ne se regardent pas dans les yeux. La nudité est ici normale, naturelle, et l’on se contrefiche de la façon dont est bâti le voisin ou la voisine. Le candide qui vient ici pour la première fois observe un peu plus. Et se rassure sur son anatomie : tous les corps se présentent dans la vapeur ou dans l’eau, des jeunes, des vieux fripés, des minces athlétiques (rares), des gros, des ventripotents, des bronzés, des blancs comme un linge, des femmes enceintes, des jeunes filles ou des grand-mères. On va de salle en salle, en retournant dans le bain, on lit un journal, on fait la conversation, nu ou en serviette, peu importe. Pas de vêtement non plus qui donnerait un indice sur le métier, le statut social ou les goûts musicaux. Nous ne sommes que des corps nus qui s’en moquent. À ces heures, dans cet endroit, tout est sain. Le candide observera juste, à l’invitation de l’ami, «comment se porte le poil» en Germanie. Disons que les coupes sont très variées, mais que, d’après cette modeste expérience, les rasés sont plutôt masculins.
Si l’on a du temps, on peut aussi aller s’allonger sur une chaise longue dans une salle de repos, isolée, ou enfiler un maillot pour nager dans l’un des deux grands bains (vues panoramiques ici). L’établissement possède aussi un café, car il n’est pas d’endroit en Allemagne où l’on ne puisse manger. Et l’on repart incontestablement détendu. C’est la vérité nue.

*
NB : dans ces conditions, il était difficile de me munir d’un appareil photo… Les photographies ne sont donc pas de moi, mais ont été récupérées çà et là sur la toile – je tiens les références à la disposition des universitaires scrupuleux et maniaques.

mardi 19 janvier 2010

A bicyclette (2) : de la naissance à la mort, sur les roues


Les Allemands roulent : de la naissance à la mort, comme sur des roulettes ? Bien sûr, ils font du vélo en famille. Les parents, de toute classe sociale, en toute tenue, y compris les Trachten. Les enfants roulent avec eux.
Quand ils sont trop petits, on les place dans des remorques, tirées par un vélo parental. Ces remorques sont peut-être l’accessoire à vélo le plus répandu. En général, elles ont une capote pour protéger la marmaille de la pluie comme de l’excès de soleil, parfois munie d’un fanion qui la signale à l’inattention des autres usagers de la voie publique. A l’intérieur, l’enfant est dans un véritable fauteuil – parfois pour deux, même si la démographie n’y est pas favorable. La remorque est attachée à l’axe de la roue arrière. Elle peut facilement en être détachée : dans ce cas, la remorque sert de poussette, massive, qui protège l’enfant aussi bien qu’un panzer. On l’utilise aussi (la remorque, pas l’enfant) pour faire ses courses : sa capacité est importante et on la voit souvent remplie jusqu’à la gueule. Mais que d’inventivité pour le confort des enfants !

Quand l’âge se fait sentir, ils continuent de rouler le plus longtemps possible. J’ai un collègue qui va travailler en vélo, quarante minutes aller, quarante minute retour, à 70 ans bien portés. Si les jambes ne suivent pas, il y a bien sûr la solution extrême du fauteuil roulant, souvent automatique, auquel peut aussi être adapté la fameuse remorque. Sinon, les vieux déambulent. Non pas avec ces immondes déambulateurs d’hôpital qui vous donnent envie de vous suicider. Non, des déambulateurs à roulette, munis d’un petit siège pour les pauses et d’un panier pour des courses. Et l’on voit dans les rues,d’innombrables petits vieux voûtés pousser leur siège à roulette devant eux.

L’Allemagne est un pays de vieux choyés où les enfants sont rois.

*

Pour les curieux, j’ai rassemblé quelques photos ici.

lundi 18 janvier 2010

A bicyclette (1) : la vélomania


Le temps ne s’y est guère prêté depuis décembre, la neige s’accumulant sur les vélos entreposés en grappe devant chaque immeuble (ici, le mien). Mais il est encore bien des courageux qui profitent de l’énorme réseau de pistes cyclables de Munich pour aller se rafraîchir les poumons et se payer le plaisir de klaxonner énergiquement le piéton qui s’aventure sur la piste cyclable..

Munich est une vielle rêvée pour qui veut circuler en vélo. Le réseau est unique, les rues sont larges, les parcs innombrables. On peut intégralement traverse la ville sans quitter les pistes cyclables, voire sans quitter la verdure, en suivant la piste qui longe l’Isar. Lorsque le temps s’y prête, on se croirait presque à Amsterdam, tant le vélo est prisé par les Munichois de tous âges. Le piéton est condamné à une certaine discipline : il est en effet très mal vu de ne pas respecter les pistes cyclables, qui occupent une bonne part des trottoirs. Les vélos agglutinés autour des stations de métro et des bâtiments publics en font de véritables hérissons. Il existe bien sûr nombre de loueurs, une sorte de vélib’ fourni par la Deutsche Bahn et un important marché de l’occasion. Au pays de moteurs, il est encore plus indispensable d’avoir un vélo qu’une voiture ; mon propriétaire m’en a naturellement laissé un dans la cave.

La goût des Allemands pour la technique se manifeste lors de petites expositions, comme ici en septembre dernier, sur la principale avenue (la Léopoldstrasse) où l’on exposait, entre autre, ce singulier tandem : sans doute inventé pour que les amoureux se tiennent la main ou se tripotent un peu tout en roulant. Il semble que les Allemands pratiquent le vélo comme l’amour, si l’on en juge par cet étrange vélo collectif. Mais il n’y a qu’un chef…

mardi 12 janvier 2010

Nena Oma

Nena, souvenez-vous les quadras ou les nostalgiques, c'est la chanteuse allemand de "99 Luftballons", ce qu'on appelle un énorme tube (la chanson). Elle vient de la réenregistrer pour Arte, comme en témoigne ce qui est, en français, un clip cheap. On apprend à l'occasion qu'elle a 49 ans. Elle est, depuis hier je crois, pour la seconde fois grand-mère.
Et hop! Un petit coup de vieux!

lundi 11 janvier 2010

Le temps et l’argent (ou général Hiver vs Merkel)


Je suis allé un peu vite avec le temps. La neige tombe continûment et l’on sent que la lutte pour une ville propre et des trottoirs dégagés devient de plus en plus difficile. Le matin, la neige recouvre tout, chaussées et trottoirs. Les graviers sont moins efficaces. Les services de nettoyage doivent s’y prendre à plusieurs reprises. Les gros tas de neige sur les places font ressembler Munich à une station de ski. Certains blocs d’immeuble (comme le mien) possèdent un mini chasse-neige, qui s’active tous le matins pour déblayer les accès et répandre du gravier. Dans mon quartier, il y a de tels engins à tous les coins de rue. Malgré cela, on marche sur une moelleuse couche de neige, que les flocons entretiennent en poudreuse. Où sont les skis ? Mais ce n’est rien : dans beaucoup de régions de l’Allemagne, on fait face à un véritable « Schneechaos » (dit-on dans certains journaux comme l’innommable Bild). Les îles de la côte nord ne sont plus accessibles, certains villages sont totalement isolés, le trafic ferroviaire et aérien est très perturbé. Bref, même ici, ça devient compliqué. Peu importe, ce spectacle donne le sourire dès le réveil.

En matière de chaos, ce n’est pas la neige qui doit préoccuper la chancelière, mais plutôt la politique générale. Les critiques pleuvent sur le gouvernement. Le ministre de la défense, zu Guttenberg (Karl-Theodor, Freiherr…), est taxé d’incompétence dans sa gestion de la participation des troupes allemandes à la guerre en Afghanistan. Cette présence suscite ici un débat assez vif, y compris au Parlement – c’est impensable, semble-t-il, en France. Il est vrai que les troupes allemandes sont à l’origine de la mort de nombreux civils afghans en septembre : ils avaient fait appel à l’aviation pour empêcher le vol d’une camion-citerne par des talibans. Lesquels étaient évidemment au milieu de dizaines de civils.

Mais la chancelière est elle-même au centre des critiques : on lui reproche son style trop personnel, trop présidentiel (no comment) et aussi les futures de mesure de réduction des impôts. À ce propos, contrairement à ce que dit Sarkozy, il s’agit pour l’instant d’un projet plus modeste que les mesures française, à savoir la baisse de la TVA sur les nuits d’hôtel. Devraient venir d’autres baisses d’impôts par la suite, si les critiques - et la crise - ne l’emportent pas. On dira que c’est le jeu normal de l’opposition que de porter ainsi la critique. Ce serait ignorer que les protestations les plus visibles proviennent du camp même de la chancelière, de la CSU (Bavière) et aussi de la CDU (reste de l’Allemagne), à des niveaux très élevés, au Parlement comme chez certains Ministres-Présidents de Länder. Il faut dire que la coalition fonctionne de plus en plus mal. La CSU est vent debout contre les réductions d’impôts, arguant, à juste titre, que les caisses sont vides. La CDU reproche aux libéraux du FDP de manquer de discipline et de trop pousser à la roue. Ces derniers (que j’ai sans doute présenté en septembre avec trop d’indulgence) considèrent à l’inverse que la politique de la coalition est trop timide, qu’il faut des baisses massives d’impôts. Leur chef (et ministre des affaires étrangères), Guido Westerwelle vient de prononcer un discours enflammé et emphatique, un vrai discours de Guido suprême. Ce qu’il propose doit permettre à l’Allemagne de se hisser à la tête des nations européennes et même à la tête du Monde (dit-il à peu près textuellement). C’est fou ce qu’on peut faire avec des baisses d’impôts. Dire que depuis des siècles, certains ont tenté la même chose avec du fer, du feu, du sang ou des chars, sans penser à baisser la TVA ou ces affreux impôts. Finalement les libéraux sont bien les mêmes partout. Messieurs les idéologues, bonsoir.
*
Pour ceux qui n’en ont pas assez de la neige, j’ai mis en ligne d’autres photos de Munich sous la neige à la fin de l’album de Munich à Noël (dont le lien avait changé), ici.

samedi 9 janvier 2010

Le général hiver et le prof d’histoire


Les températures sont bien installées en dessous de zéro. Une fine couche de neige recouvre le ville, régulièrement renouvelée par la poudreuse. On est réveillé vers 6 heures du matin (au boulot !) par les petits chasses-neige de quartier et les gens qui grattent les trottoirs et sablent les rues – ou plutôt les « gravillonnent », car il s’agit d’un gravier très fin plutôt que du sable. Grâce à cela, malgré le froid, la neige et le verglas, la ville est fréquentable. Si le général hiver campe, c’est presque en touriste : il est accueilli et canalisé.
Le « général hiver », déjà invoqué le 14 décembre, a inspiré un commentaire ce même jour : « rappelons nous que c'est le même Général Hiver qui vainquit l'armée allemande à Stalingrad! » dû à un certain Fred Belotti. Ceux qui regardent les commentaires (y en a-t-il ?) ont dû trouver tout cela mystérieux. Derrière ce pseudo se cache un de mes plus vieux amis, Fred, qui tient aussi un blog, où il donne des nouvelles de sa famille, qui ne cesse de s’agrandir. Il y a expliqué l’anecdote qui éclaire ce commentaire (le 20 décembre, « My left foot », vers le milieu du post). Pour résumer : nous avions en terminale un professeur d’histoire pitoyable, un certain M. Belotti, qui se contentait de lire ou de résumer des fiches d’aide-mémoire d’un « grand » éditeur (Bordas ?). Il ne savait pas quel général allemand était le général hiver… Il a un jour demandé à un élève ses notes de cours de l’an passé, pour s’en inspirer. C’est sans doute le plus mauvais enseignant que j’aie rencontré : veule, médiocre, fainéant… Un physique à la Besson ; ou plutôt un Besson mou. Croisé avec un Monsieur Hulot dépourvu d’humour et de poésie. Nous rions rien qu’en le voyant ouvrir la porte, cassé en deux, les yeux presque au niveau du trou de la serrure, les lèvres pincées, se battant avec les clés. Ayant vite constaté que nous perdions notre temps, nous faisons nos devoirs en cours, même moi, le passionné d’histoire, je faisais des maths ou autre de chose de plus palpitant. Il le constatait mais n’en pouvait mais ; je crois qu’il se limitait à nous dire de ne pas le faire. Une fois, l’un d’entre nous est sortit de la salle par la fenêtre – nous étions au rez-de-chaussée – juste pour le provoquer. La réponse suivit, molle : « il… il ne faut poâ sortir par les fenêêtres ». Et c’est tout. Un autre jour, il nous passait un film. Le film peut être un outil pédagogique formidable, mais, chez lui (comme chez beaucoup d’enseignants), c’était juste un moyen de ne pas faire cours. Le film est sorti de la bobine ; il s’est emmêlé dedans, les pieds, les mains dans le film dévidé et nous sommes partis, très en avance, par petits groupes, en le saluant, le sourire aux lèvres, mais en le laissant dans la panade, en train de détruire un film.

L’année était apparemment fichue. Or, c’était l’année du bac. Le proviseur nous avait à la bonne et à l’oeil, lui qui venait en classe nous tancer, lorsque les résultats n’étaient pas assez bons : nous devions alors absorber les mathématiques que nous délivrait notre (excellente) prof, Madame Jacob, « comme on tête à une théïère ». Il ne devait pas souvent boire du thé. Mais il trouva la solution : un autre professeur d’histoire, M. Streïff, que nous avions eu en première, se dévoua pour nous donner l’essentiel en quelques cours, comme toujours brillants. Grâce lui soit rendue, il nous a laissé quantité de bons souvenirs, hui ! (selon son interjection favorite).

Nous étions sans indulgence avec M. Belotti. Et encore ! Chaque enseignant sait à quel point une classe peut être une meute : nous n’avons été au fond pas bien cruels. Pour ma part, j’avais même pitié de ce pauvre bougre. Je me suis toujours demandé comment il se regardait, à quel point il se rendait compte du mépris dans lequel il était tenu. Il nous disait qu’il allait devenir professeur en université et suscitait ainsi nos sarcasmes. Nous pensions que l’université ne voudrait pas de quelqu’un déjà nul dans le secondaire. Je sais désormais que les choses sont bien moins simples.

Mais j’ai souvent pensé à lui dans la suite de mes études et aux débuts de ma vie professionnelle. Avec une forme d’angoisse : serais-je capable de ne pas être une sorte de Belotti dans les yeux de mes élèves de collège ? « Belotti, sors de ce corps! » Moi qui y suis (très brièvement) passé, en songeant déjà à enseigner à l’université, j’avais du mal à dire mes souhaits, ou mes rêves, sans penser à Belotti qui avait les mêmes. Il va de soit que je n’en ai pas touché un mot aux élèves, qui ne me rendaient pas la vie facile, sauf le jour où justement je suis parti pour l’université. L’enseignement secondaire est bien plus difficile que le supérieur ! Mais Belotti m’a servi de modèle-repoussoir, au cas où j’en aie eu besoin. Je n’ai jamais réussi à savoir si sa prétention le rendait aveugle face à sa nullité ou s’il retirait de la souffrance de la situation. Mais, s'il n’était responsable ni de sa nullité, ni de son manque d’autorité, ni de sa veulerie, il ne pouvait pas ne pas savoir qu’il ne travaillait pas. Sur ce, je retourne travailler, on ne sait jamais.

jeudi 7 janvier 2010

Un petit glissement vers 2010


On souhaite ici aussi une bonne année, mais il arrive souvent que l’on vous souhaite littéralement « un bon glissement dans la nouvelle année », einen guten Rutsch ins neue Jahr. Avec les bulles du champagne, dans la nuit de la Saint-Sylvestre, on glisse en effet facilement d’une année à l’autre. Il faut supposer que l’expression sert tout autant à présenter ses bons vœux pour l’année à venir qu’à fait allusion à la fête du 31 en elle-même. Ne l’ayant pas passée en Allemagne, je n’en dirai rien, d’autant plus que, désormais, toutes les lumières sont éteintes. Il reste çà et là des soldes, en ordre dispersé car elles sont dérèglementées. Pas de micro-trottoir sur la première heure des soldes : de quoi peuvent donc parler les journalistes ? Des querelles au sein de la coalition au pouvoir, qui s’étripe sur les premiers allègements d’impôt.

Je vous souhaite donc à vous tous un bon glissement progressif vers 2010. Je ne prendrai pas trop de bonnes résolutions, surtout par écrit. Je mettrai, selon l’humeur et le temps disponible, quelques textes en ligne, qui porteront comme en 2008 sur mon séjour munichois, sans forcément que cela reflète le quotidien ou une quelconque chronologie. Devraient donc venir, pour commencer en me contredisant, une page sans rapport aucun avec l’Allemagne, puis quelque chose qui n’est plus trop d’actualité, l’Allemagne à bicyclette et, peut-être, une série en cinquante épisodes sur « vérités et légendes sur l’Allemagne ». Comme j’aurai sans doute d’autres idées et que la vie est pleine de surprises, il est probable que je ne respecterai même pas cet embryon de programme et je m’en réjouis.