vendredi 11 décembre 2009

Alexandre le Grand à Heidelberg


La réunion des nouveaux boursiers de la Fondation Humboldt se tenait cette année fin novembre à Heidelberg (Rhénanie-Palatinat). Pendant trois jours, réunions solennelles, discussions en groupes de pays plus ou moins voisins (on met ainsi la France avec l’Italie, l’Espagne, la Roumanie et… la Géorgie), par groupes de disciplines là encore plus ou moins voisines se succèdent. Nous étions accueillis dans les locaux de l’université de la ville : les plus anciens sont en plein centre ville dans de trapus bâtiments en grès rose. Le « grand amphi » local (Alte Aula) est une longue salle rectangulaire surchargée de boiseries et de vieux lampadaires en fer forgé qui nous transporte dans l’université du milieu du XIXe siècle. Mais l’université est dotée de locaux, souvent très modernes dans toute la ville qui est une petite ville avant tout universitaire.
La panel de chercheur est révélateur : moins de 20 % proviennent des sciences humaines et sociales. Un contingent très impressionnant de Chinois et d’Indiens forme le gros des bataillons dans les sciences dites exactes et les « sciences de l’ingénieur ». Mais il n’est guère de pays qui n’aie de boursiers : j’ai croisé, discuté notamment des Italiens, des Français, des Britanniques, des Espagnols, une Luxembourgeoise, une Bulgare, un Géorgien, un Tchèque, un Hongrois, des Roumains, quelques Américains des USA, des Brésiliens, des Indiens, un Ouzbek, un Grec, un Turc (qui ont fait ami-ami)… Si, dans les sciences humaines, tout le monde comprend et parle l’Allemand, ailleurs on ne parle qu’anglais. Les universitaires allemands sont même de fins anglophones, mais ils en viennent à ne même plus songer à employer leur propre langue : le discours inaugural de la représentante de la Fondation s’est fait exclusivement en anglais ; les courriels sont bilingues, mais parfois seulement en anglais (ainsi pour le «club des Humboltiens de Munich») et le responsable d’un gros programme de recherche en histoire à Heidelberg nous a d’emblée présenté le projet en anglais, alors que l’intégralité du groupe maîtrisait très bien l’allemand ; il ne s’est même pas posé la question. Cela n’étonnera personne, je fus des râleurs. Et l’allemand revint.
Les conditions de séjour valent la peine d’être racontées. Nous avons dîné le premier soir dans un des restaurants les plus chers de la ville, au « Ritter », dans une imposante bâtisse, une des seules à avoir survécu, dit-on, au sac de la ville, à la fin du XVIIe siècle, par les troupes bien intentionnées de Louis XIV. Les Français que l’on voyait alors à Heidelberg étaient là pour piller, violer et brûler. Il semble que l’on ne nous en tienne pas trop rigueur. Le lendemain, le dîner avait lieu dans un luxueux restaurant qui domine la ville, au-dessus de la forêt et des ruines du château (détruit par qui vous devinez), à l’aplomb de la vallée du Neckar. Il faut imaginer que ce sont à chaque fois environ 200 couverts qui sont payés, auxquels s’ajoutent les pauses café et thé, pourvues en abondance en gâteaux de toute sorte.

Mais le nec plus ultra était le logement à l’hôtel Europäische Hof, un 5 étoiles, le plus coûteux de la ville. Un véritable grand hôtel, avec un personnel nombreux, stylé, un piano bar, une salle de sport, un spa, un grand restaurant et des chambres comme jamais un universitaire n’en connaît dans sa vie professionnelle – et ne peut s’en payer dans sa vie privée. Nous n’avions bien sûr pas les meilleures. Mais jugez-en par un inventaire : assez vastes, lumineuses, avec un éclairage sophistiqué assorti d’une multitude de glaces ; un coffre-fort, un mini-bar, une connexion Internet pour portable ; une télévision grand-écran plat avec connexion Internet (le clavier est fourni), vidéo à la demande (y compris films porno allemands…), de l’eau minérale à volonté, un chocolat sur l’oreiller ; un appareil à repasser (verticalement) les pantalons, un nécessaire à couture, de quoi nettoyer ses chaussures, mais aussi un service gratuit de cirage (jusque 2 heures du matin), ou payant de nettoyage de vêtements ; peignoir de bain et chaussons sont également fournis ; la salle de bain est munie d’un téléphone, de distributeurs de mouchoirs en papier (à chaque fois pliés en biseau pour marquer leur caractère propre), de divers produits de bain, de cotons-tiges, d’un miroir grossissant (pour se maquiller, se raser ou se percer avec joie et précision les boutons), d’une baignoire avec double système de douche et surtout remous… Le petit déjeuner est potentiellement le plus pantagruélique que l’on puisse imaginer : jus de fruits frais pressés, dans des carafes posées dans la glace, œufs et bacon, saucisses, weisswurst bien sûr, avec ses moutardes, charcuteries, y compris boudin (si si), harengs marinés (il faut oser), fromages frais et secs, choix de yaourts, de fromages blancs frais ou aux fruits, compotes ad hoc, muësli à composer soi-même à partir d’un grand choix de graines et de fruits frais et secs, beurre, croissants, petits gâteaux, toasts, brioches, pains de toute sorte à couper soi-même en les tenant via une serviette immaculée, confitures maison, Nutella, choix de miels et j’en oublie ! Il est bon pour la ligne que ces rendez-vous ne se prolongent pas trop.
Les vacances scientifiques se prolongent par une visite de la ville, très unitaire puisque reconstruite après les ravages de mes compatriotes. Grâce à nous, Heidelberg est une admirable petite ville baroque (et relativement sobre), dominée par une sorte de grès rose et des crépis aux teintes vives. Comme il semble que la Fondation me paye pour travailler, je m’arrête là : les curieux pourront voir plus d’images ici.

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