jeudi 17 décembre 2009

Étudiants, diants diants


L’Allemagne est en ce moment secouée par un assez important mouvement de protestation étudiante, qui a pris sa source en Autriche et a trouvé des échos notamment en Suisse. Les revendications sont multiples : face aux frais d’inscription – plus importants qu’en France – on souhaite la gratuité complète des études, une hausse des moyens alloués à l’université ; un libre accès au Master sans sélection préalable ; enfin, la mise à bas du « processus de Bologne », nom donné à l’harmonisation européenne des cursus, mise en œuvre depuis environ une dizaine d’années. C’est le système connu en France sous le nom de LMD, Licence-Master-Doctorat, en Allemagne Bachelor-Master-Doktorat. Il y en a sous doute d’autres ferments, notamment en Autriche, que je ne maîtrise pas du tout.


Les revendications me paraissent en grande partie justifiées. Si les frais ne sont malgré tout pas très élevés, ils posent problème aux étudiants les plus modestes, d’autant plus que les bourses mensuelles ne dépassent pas 400 euros par mois. La gratuite totale est en revanche une illusion assez démagogique. Il y a eu quelque expériences d’abandon des frais, mais l’université y a alors perdu une grande part de ses ressources alors que le nombre d’étudiants a considérablement augmenté (c’est un des problèmes autrichiens). Vous imaginez la qualité de l’enseignement que l’on peut dispenser dans ces conditions. L’accès automatique au master (donc au diplôme de bac plus 5) me semble encore plus démagogique – et un rien contradictoire quand on a protesté contre l’allongement de la durée du premier diplôme de 2 à 3 ans.


Mais c’est un point de vue d’enseignant. Nos critiques ne sont pas les mêmes, je partagerais plutôt celles des enseignants allemands avec qui j’ai pu discuter. Le processus de Bologne est censé faciliter les échanges entre étudiants européens en harmonisant diplômes et rythmes de vie. En Allemagne, en vertu de la structure fédérale, il a été instauré indépendamment dans chaque Land. La diversité des solutions adoptées est telle que les échanges entre étudiants de Länder différents est devenue bien plus difficile qu’avant la réforme. Comme l’autonomie des universités n’est pas ici un attrape-nigaud, chaque université a concocté ses propres pâtes bolognaises, indigestes pour la voisine. Voilà comment on créée un capharnaüm européen. Bien plus, les enseignants se plaignent, comme nous, d’être devenus des machines à faire passer des examens et à donner des notes, comme de la logique de plus en plus consumériste des étudiants, qui vont à la chasse aux crédits et non au savoir. Ils dénoncent la bureaucratisation de la recherche, le manque de moyens, la mise en concurrence frontale et brutale des universités et des universitaires. La concurrence n’est pas un mal en soi si elle se traduit par une émulation. En Allemagne, comme chez nous (et pire, chez les Anglos-Saxons), elle se manifeste par une inflation exponentielle des publications, inversement proportionnelle à leur qualité, à la constitution, ou à la prospérité d’un groupe de super-Professeurs, super-payés, qui doivent leur place bien moins à leurs qualités professionnelles qu’à leur capacité à s’insérer dans le système de pouvoir, et en particulier dans le réseau de ceux qui évaluent les universités : un petit groupe est ainsi employé (et grassement payé) dans les agences (privées) qui notent les universités réclamant le statut d’excellence. Un de mes interlocuteurs y voit la mise en place d’un véritable système de corruption. Il y a au moins une confusion des genres et un groupe de cumulards que nous connaissons fort bien, et depuis longtemps, en France. De ce côté-ci du Rhin, les enseignants ne se révoltent pas, contrairement aux étudiants, qui n’ont, au fond, pas les mêmes griefs. Le Professeur allemand ne proteste pas, par atavisme, sans doute, mais aussi par ce qu’il est Herr Professor, un homme puissant, un privilégié qui a lutté pour obtenir cette place. Il n’existe pas d’équivalent de notre vaste corps intermédiaire des maîtres de Conférences (Dozent ici), qui a mené la révolte l’an passé. Nous savons bien que s’il avait fallu compter sur nos Professeurs à nous, l’université serait restée paisible et ils seraient presque tous allés à la mangeoire.


Quoi qu’il en soit, le processus européen en cours est pour la plupart d’entre nous, des deux côtés du Rhin, un vrai désastre. Le couple semestrialisation-Bologne est, à mes yeux, d’abord une catastrophe pédagogique, avant de porter en germe l’abaissement des niveaux de l’enseignement comme de la recherche dans toute l’Europe, voire une destruction de ce que notre système a de meilleur. L’atomisation, la culture du zapping, le goût de la vitesse au détriment du mûrissement, le consumérisme atteignent les étudiants comme les enseignants. Certains de mes amis socialistes défendent encore le processus, car il fut lancé par eux et parce qu’il aurait été saboté par le manque de moyens alloués. Le second point est juste, mais, vu d’ici encore plus qu’en France, on voit surtout l’œuvre d’un rabot bureaucratique et dogmatique, qui n’a jamais pris en compte la réalité des structures existantes ni fait confiance au pragmatisme – aggravé par le libéralisme ambiant . Un processus assez jacobin, donc français dans sa conception. Non, il n’y a pas lieu d’en être fier, comme de savoir que l’infatué Claude Allègre en a été un des maîtres d’œuvres.

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