dimanche 31 octobre 2010

Là haut, il neige

Le train file dans la campagne bavaroise, m’emmenant vers la Suisse. Le soleil brille à nouveau. C’est toujours ainsi : il brille quand on est enfermé dans las wagons et la pluie vient vous cueillir à la gare. Mais il en profite, le bougre ! Il flâne, il serpente, il sort de l’itinéraire programmé pour aller faire des méandres dans l’Allgäu, via Kempten. Je retrouve mes vaches locales, les petites brunes adaptées à la montagne.

Des vallons s’élèvent, les collines se transforment en montagne ; et voilà la neige qui apparaît, bien bas.

Il a dû neiger vers 800 mètres, au moins, et elle tient. La voie louvoie le long de petits lacs, d’aspect déjà sévère.L’automne est arrivé brutalement et les feuilles ne se sont pas attardées : l’hiver approche.

Plus on s’élève, plus la blancheur gagne du terrain. Nous traversons des villages enneigés, où les congères bordent déjà les rues. Nous sommes ici en hiver et l’on voit la ligne des remonte-pentes qui donnent envie de chausser des skis.

Mais le pépère finir bien par redescendre, vers Lindau, porte de la Bavière sur le Bodensee – que les Français nomment Lac de Constance.

Ce magnifique lac, dominé par des arbres fruitiers qui s’étendent presque à perte de vue, reste quant à lui dans un automne encore mordoré.

La saison est toujours affaire de géographie.

*

Post-scriptum : le détour effectué par le train n’avait pas été annoncé, malgré la demi-heure de retard qu’il eut pour conséquences. Le train laissa les voyageurs se débrouiller avec leurs correspondances. La ponctualité comme l’efficacité allemandes ont aussi leurs limites et une part de légende.

jeudi 28 octobre 2010

Panzerkampf ou les tortues Ninja en Grèce

Offrons-nous un bref retour en arrière, le mois dernier en Grèce. Voici une petite vidéo filmée sur un des sites archéologiques d'Athènes, celui du Céramique. Il en sera pas pour autant question d'archéologie, mais plutôt des nombreuses tortues qui y vivent. Ce lundi 13 septembre, voici le curieux combat qui m'a intrigué.



Ce n'est qu'un bref moment d'une scène qui a peut-être duré une heure, voire plus. Les tortues ne cessaient de se lancer contre une troisième. Et ça fait des grands "plonk", "plonk", et "replonk"! Pendant les pauses, elles tentent de glisser la tête vers les ouvertures de la carapace qu'elles percutent. Celle-ci a l'air vide, rien ne dépasse. Pourtant, quand on se penche, on croit deviner que de la chair y bouge: il y a un bien un animal dedans. S'agit-il d'une tortue femelle désirant échapper à des congénères mâles en rut et prêts à se faire une tournante? D'une thérapie collective visant à combattre la timidité? D'un animal ayant bêtement squatté une vieille carapace, en butte à l'hostilité de tortues scandalisées par la profanation des restes de l'ancêtre? Avis aux spécialistes!

dimanche 24 octobre 2010

Encore une longue nuit

Samedi dernier, je suis reparti, comme l’an passé, pour la « Longue nuit des musées de Munich ». Un bel événement, qui permet, avec un seul billet, de visiter 80 musées, d’assister à des concerts de toute sorte, tout en étant transporté gratuitement.

Pour commencer, un petit tour au Deustches Museum s’est imposé, ne serait-ce que pour en goûter l’étrange atmosphère, lorsqu’un bar est installé au milieu des avions de guerre. J’ai ensuite profité de la noria de voitures de collections qui partaient du musée. Cette année, ce fut encore une américaine, une Studebaker verte.

Je laisse ici une petite vidéo de très médiocre qualité – le noir et la pluie automnale n’arrangeant rien. Mais vous pourrez au moins écouter le doux ronron de son moteur.

La voiture nous conduit sur l’autre site du musée, les Verkehrsmuseum. Toujours aussi beau, j’en parlerai peut-être une autre fois. Entre les trains, les trams et les voitures, nous avons eu droit à une animation bien sérieuse, une série d’exposés sur la sécurité au volant : ainsi les dangers du tonneau, ou comment sortir d’une voiture couchée sur le toit.

Cela s’est achevé par une déconcertante chanson avec des filles sans tête qui s’agitaient comme des poulets.

Le musée domine le site du Theresienwiese, où se tenait deux semaines plus tôt l’Oktoberfest. On pouvait librement le traverser, dans un étonnant silence, sous une discrète bruine. Les installations sont longues à démonter. Aussi pouvait-on encore admirer de près le bœuf en broche qui servait d’emblème à la tente de l’Ochsenbraterei. Descendu de son piédestal, il gisait là, attendant qu’un camion ne l’emporte pour un sommeil d’un an. On traversait aussi les gigantesques carcasses des tentes, ouvertes, désertes, comme dans un cimetière d’éléphants.

Non loin de là se trouve une église néogothique, Saint Paul, l’étape suivante. Pour une fois, les architectes n’ont pas versé dans la surenchère flamboyante, mais adopté une certaine sobriété qui, la nuit, la rend particulièrement lénifiante.


Un petit saut vers le nord nous a transporté dans un autre monde à tous points de vue : la Pinakothek der Moderne, le musée d’art contemporain. Tout n’y est pas passionnant, surtout pour le très contemporain, mais il possède une assez belle collection de peintures, des Picasso, Max Ernst, un peu de Blaue Reiter, pas mal d’expressionnistes, etc. Le sous-sol est consacré au design : on y accède par un grand escalier fort bien éclairé, qui donne une bonne idée de l’esprit du musée.

Le clou de la visite est le musée lui-même. Il s’articule autour d’un vaste hall immaculé muni d’un haute coupole. Cet espace est très réussi. Le plaisir de la déambulation a été pour moi la celui de la découverte du bâtiment bien plus que des collections. Enfin un monument d’architecture contemporaine réussi à Munich !

Pour finir, entre minuit et deux heures, je me suis offert un autre contraste avec le musée de la ville, dans un vieux bâtiment trapu. S’y tient l’exposition sur l’Oktoberfest dont j’ai parlé dimanche dernier. Il ne restait alors, les jambes lourdes, un peu fourbu, les yeux illuminés par une belle soirée, qu’à se laisser aller dans un taxi qui glisse en silence sur la chaussée mouillée, en savourant à l’avance la longue grasse matinée qui s’ensuivra.

samedi 23 octobre 2010

La fête dure


Les flonflons ne s’arrêtent presque jamais à Munich. Dix jours après la fin de l’Oktoberfest, se tient l’Auer Dult sur la place qui entoura la Mariahilfskirche, sur la rive droite de l’Isar. L’événement s’y tient trois fois par an, à l’automne en octobre (cette année du 16 au 24). On y trouve quelques manèges, quelques débits de boissons parfois déjà présents sur l’Oktoberfest, mais à une échelle très modeste.

Mais c’est aussi un marché, où l’on peut acheter de quoi nettoyer sa maison, ou sa voiture, des draps, des chaussettes, des vêtements comme sur une place de village. Le plus intéressant est sans doute constitué par les boutiques d’antiquaires de toute sorte, qui donnent une couleur nostalgique au marché.

Le temps, cet automne, est médiocre. On n’est donc pas fâché de se réfugier dans les salles, les petites tentes, ou de boire dehors le premier vin chaud de l’année. Certaines boutiques permettent aux prévoyants d’acheter très en avance la décoration de Noël. Le soir, à la fermeture du marché, alors que les jours ne cessent de raccourcir, elles illuminent la nuit qui tombent. Comme un avant-goût de Noël.

L’Auer Dult, auquel les Munichois sont très attachés, est un étrange mélange entre une fête foraine, un marché de province, un marché aux puces et le marché de Noël. Il sert de modeste transition, de glissement progressif vers la ville hivernale. Déjà !

mercredi 20 octobre 2010

Sous la tente (Oktoberfest suite et fin)


De l’Oktoberfest, dont les lumières se sont éteintes il y a deux semaines maintenant, on retient surtout à l’extérieur le nom de « fête de la bière ». J’ai essayé de montrer que c’est une image un peu réductrice (ici et ). Ne sombrons cependant pas dans l’angélisme : la plupart des gens qui viennent ici, notamment les touristes, y viennent pour boire abondamment, avant tout de la bière. D’où les démarches peu assurées de nombre de passants, voire la léthargie de certains, dès l’heure du déjeuner, comme ici. Beaucoup de jeunes, ou moins jeunes boivent dès le matin, parfois avant même de venir sur le site, ou dans le métro. Sur place, on aurait but 7 millions de Maß de bière (oui, 7 millions de litres), ingurgité 6,4 millions de visiteurs, soit à peine plus d’un par personne. (bilan ici) Sans doute fait-il décompter les enfants...

Certes, l’on voit parfois de navrants spectacles de gens qui se vomissent dessus avant de tomber par terre. Mais on est étonné d’apprendre que les fort efficaces services n’ont eu à traiter que moins de mille cas et qu’il n’y a eu que 62 bagarres à coup de bock (délit spécial, que l’on nomme Maßkrugschlägerei). L’esprit général est très bon enfant, on vient aussi pour s’amuser, pour l’ambiance, pour le décor. Et souvent de très loin.

Question décor, ayant déjà parlé de l’extérieur, je n’évoquerai que l’intérieur. Les tentes (Zelten) sont de vastes hangars (pour les six grandes) ou de grosses baraques (pour les nombreuses petites) en bois massif, décorées de tentures, de guirlandes et parfois de trophées de chasse, comme on en trouve dans toutes les brasseries bavaroises. Ce n’est pas le plus agréable à l’œil.

Peu importe, l’essentiel est que le décor soit assez surchargé. Chaque tente a sa particularité, son public aussi – dans la tente « historique » (musée donc), les costumes traditionnels abondent encore plus qu’ailleurs, car des groupes viennent y jouer. Ici (Hacker-Pschorr), on trouvera du vert, ailleurs, du bleu ou du jaune. L’Augustiner se distingue avec les volutes de sa façade, la Hofbräu, brasserie de la cour, à l’extérieur par limitation de la façade du bâtiment du centre de Munich, à l’intérieur par une surcharge ornementale et surtout « l’ange » Aloysus qui flotte au-dessus des eaux bouillonnantes des buveurs. La Hofbräu est le cœur du chaudron, où le masse s’agitent comme des vagues et braillent plus que chantent à l’unisson. Un exemple, ici

Et là, la suite, où l'on reconnaît un des standards de la fête, "Viva Colonia", parfois transformé en "Viva Bavaria".

Mais c’est aussi une usine qui n’est pas forcément la plus agréable. Il ne faut pas trop s’illusionner : pour nourrir et faire boire de 6000 à 1000 personnes, il faut un service efficace, nombreux, mais guère raffiné et d’immenses cuisines. L’endroit n’est guère intime.

La plus belle tente est l’Hippodrom, la cuisine est par ailleurs réputée – je n’ai pu le vérifier, tant il est difficile d’y trouver une place. Le rouge y domine, la musique est très supportable et les excès éthyliques bannis. L’endroit fait envie. L’envers du décor est sans doute la gestion du personnel. Certes, l’emploi de serveur est très lucratif (jusqu'à 400 euros pas jour). Beaucoup d’entre eux ne sont pas de serveurs professionnels, mais de gens qui, bien qu’exerçant un métier qui les fait vivre normalement, viennent chaque année juste à ce moment là. On peut ainsi y croiser un prêtre ou un ingénieur. Il faut faire vite, et le patron crie. Celui de l’Hippodrom est en ce moment visé par des plaintes, qui l’accusent d’injures, de mauvais traitement, voire d’attouchements et de brutalités. L’affaire est remontée jusqu’au maire, qui s’en émeut. Une enquête est naturellement en cours. Théoriquement, elle peut aboutir jusqu’au bannissement du patron de l’Oktoberfest.

Pour ma part, j’ai pu à deux reprises finir la soirée dans un endroit plus modeste et bien plus kitch, le Café Kaiserschmarrn de Richart, une chaine de traiteur munichoise de fort bonne qualité. Comme son nom l’indique, on y prépare dans de grandes poêles ce dessert typique de la Bavière et de l’Autriche, une sorte d’omelette sucrée dont je raffole. Les portions sont très copieuses : on le mange donc en groupe, en goûtant le décor un peu Disneyland, très sucré, très bonbon. Un groupe un peu plus jeune que dans les autres tentes, le Blind-date-band, sert une musique variée, avec entrain et un certain talent – pour le genre. Ils ont même un guitar-héros.

Comme ailleurs, on chante


et danse vite sur les bancs.

Dans cette dernière video, vous reconnaîtrez peut-être, du moins les plus de 35 ans, Amadeus, un succès de 1986 de l'Autrichien Falco (ici en V.O. si ça vous chante).

Lorsque la tente ferme, à 11 heures, on sort réjouit. Voilà comment les prétendus français raffinés prennent un plaisir fou dans le comble du kitch.

Vivement la prochaine fois !


lundi 18 octobre 2010

Le joug de la tradition – l’historien devant la glace

Il y a quelque temps que j’ai raconté les défilés qui inaugurent les deux semaines de l’Oktoberfest. Des chars très décorés menaient les tonneaux des brasseries vers le site de la fête. Un mini-défilé quotidien s’y ajoutait sur le Wiesn, chaque brasserie faisant conduire le matin un ou deux chars devant sa tente. On entendait de loin venir le tintement de clochettes fixées sur le joug des puissants chevaux de trait.

Puissants, mais non dépourvu de grâce, comme en témoigne cette patte, qui fait la pointe.

Ces défilés de chars bariolés, de membres de sociétés de tir en costume traditionnel et de serveurs et serveuses le bock à la main sont justifiés dans le discours officiels par une tradition. Quand on les regarde, on se demande malgré tout à quel point cette attraction touristique n’est pas une création récente, voire un attrape-gogo. On sait par ailleurs à quel point les costumes « traditionnels » ou « folkloriques » de nos campagnes sont des créations récentes. Cela me faisait un peu sourire.

J’avais tort. Une intéressante exposition consacrée aux 200 ans de l’Oktoberfest se tient en ce moment au musée de la ville de Munich. Parmi de très nombreux objets, on trouve ainsi une série de dessins du XIXe siècle qui représentent le défilé inaugural. Voici un extrait d’un dessin, daté de 1835. En regardant de plus près, on voit bien les mesures de bière que brandissent les serveuses, dans ce char fleuri.

En voici un autre (de la même série), qui représente le char d’une brasserie installée sur le Wiesn. Si l’on considère une photo prise cette année, on est frappé par la proximité des types de chars : la continuité est réelle, la tradition n’est pas une invention de la fin du XXe siècle. Voilà près de deux siècles, l’exposition le montre, que l’on défile et que l’on se pinte selon des modalités très proches. Le conservatisme bavarois n’est pas une légende.

L’exposition a bien des richesses. Elle permet surtout de comprendre, ce qui n’est pas si courant dans un monde où la muséographie l’a emporté sur la réflexion. Passons néanmoins sur la réflexion. On s’amuse aussi là-bas, des vieilles voitures des manèges, des décors toujours aussi kitch des trains fantômes. Ou aussi d’une salle où l’on a rassemblé d’anciennes glaces déformantes, patinées, mais toujours efficaces. Vous me reconnaissez ?

Et ici ?