mercredi 20 janvier 2010

La vérité nue


Les Allemands prennent soin de leur corps, c’est une banalité qui se vérifie bien en dehors des pistes cyclables. Le maître-mot est la Wellness – le vocabulaire allemand est dans ce domaine comme dans d’autres colonisé par l’anglais. On ne compte donc plus les piscines ou les salles de sport et les occasions d’activités sportives. Les piscines sont à peu près toujours munies de saunas : ce sont en réalité de véritables établissements thermaux. On en trouve une bonne dizaine à Munich même. Les plus beaux sont les Müllers Volskbad, un gros bâtiment art nouveau construit au bord de l’Isar par un mécène il y a environ un siècle. Bien rénovés, ils font penser aux bains romains, qui en ont été les inspirateurs.

Entraîné par un ami amateur de ces établissements et par la curiosité, je me suis risqué à visiter l’endroit, après un après-midi de travail. Ces bains sont en effet magnifiques, même si le style art nouveau est limité à quelques volutes, au fond assez sobres. On dispose d’un casier, dans des vestiaires collectifs et mixtes, à moins de payer un supplément pour bénéficier d’une «cabine calme». La règle est la nudité absolue : aucun maillot de bain. On peut bien sûr circuler avec une serviette sur les hanches ou un peignoir sur le dos, mais il faut bien l’ôter pour aller dans les bains. Tout s’organise autour d’une salle circulaire, à laquelle on accède après être passé par les douches (vue panoramique ici). Au centre, un bain rond, de température normale, où l’on va régulièrement se réfugier. Autour, douches fraîche ou froide, un bain froid pour accélérer la circulation et l’accès à d’autres salles, chaudes : trois salles de chaleur sèche, 40, 60 et 80°, une pièce où est injectée de la vapeur humide et où l’on ne fait que deviner ses voisins, dans une ambiance un peu fantomatique, et enfin un sauna. Ce dernier est une petite salle lambrissée, où l’on s’assied sur des marches en bois. En silence. Un(e) employé(e) des bains vient de temps à autre au milieu de ces nus assis : puisant avec une grosse spatule en bois dans un seau, elle ou il répand une solution d’huile essentielle sur le pierres chaudes et la diffuse à coups de serviette dans l’atmosphère. Nous inhalons, mais nous sommes dans l’inhalateur. En sortant, je me suis demandé comment on peut être Finnois : on sue dans le sauna, mais on sue surtout l’ennui. Les autres salles sont plus distrayantes et variées ; on peut au moins y parler.
On pourrait croire que la pudeur serait mise à rude épreuve et que l’on passerait ici son temps à s’observer. En réalité, les gens ne se regardent pas dans les yeux. La nudité est ici normale, naturelle, et l’on se contrefiche de la façon dont est bâti le voisin ou la voisine. Le candide qui vient ici pour la première fois observe un peu plus. Et se rassure sur son anatomie : tous les corps se présentent dans la vapeur ou dans l’eau, des jeunes, des vieux fripés, des minces athlétiques (rares), des gros, des ventripotents, des bronzés, des blancs comme un linge, des femmes enceintes, des jeunes filles ou des grand-mères. On va de salle en salle, en retournant dans le bain, on lit un journal, on fait la conversation, nu ou en serviette, peu importe. Pas de vêtement non plus qui donnerait un indice sur le métier, le statut social ou les goûts musicaux. Nous ne sommes que des corps nus qui s’en moquent. À ces heures, dans cet endroit, tout est sain. Le candide observera juste, à l’invitation de l’ami, «comment se porte le poil» en Germanie. Disons que les coupes sont très variées, mais que, d’après cette modeste expérience, les rasés sont plutôt masculins.
Si l’on a du temps, on peut aussi aller s’allonger sur une chaise longue dans une salle de repos, isolée, ou enfiler un maillot pour nager dans l’un des deux grands bains (vues panoramiques ici). L’établissement possède aussi un café, car il n’est pas d’endroit en Allemagne où l’on ne puisse manger. Et l’on repart incontestablement détendu. C’est la vérité nue.

*
NB : dans ces conditions, il était difficile de me munir d’un appareil photo… Les photographies ne sont donc pas de moi, mais ont été récupérées çà et là sur la toile – je tiens les références à la disposition des universitaires scrupuleux et maniaques.

5 commentaires:

  1. Je veux y aller ! Il n'est jamais trop tard, Pierre, pour découvrir ces hâvres de paix que sont en particulier les hammams, où la nudité est la règle par excellence (du moins dans ceux qui ne se sont pas trop occidentalisés).

    Ca m'a donné envie...

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  2. Tea for two and two for tea...

    Tu aimes aussi les films de gladiateurs ?

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  3. - A Chris(s't'in): oui, mais, normalement les hammams "orientaux" ne sont pas mixtes. Essaye donc de trouver un Hamman mixte en Turquie...
    Ici, je crois que c'est une tradition germano-nordique, un rapport au corps un peu différent du nôtre (pour généraliser hâtivement).
    - A Fred: uniquement les films de gladiateurs finnois!
    Enfin, ici, il serait fort mal vu de siffler au sauna.
    - Tiens Aude ne m'a pas dit que chez elle aussi, il y en a plein et que je suis un parisien qui découvre le monde. Vous n'êtes pas tous à poil (dans les saunas) en Belgique?

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  4. Si, en Belgique, tout le monde est à poil, le roi est à poil, les relations communautaires sont à poil, la fortis est à poil, et même le cinéma est à poil : allez jeter un oeil à l'affiche de la merditude des choses, pour voir (lamerditudedeschoses.com). Sans rancune, petit Pierre...

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  5. J'ai entendu parler du film... Mais il ne risque pas de sortir ici. Dommage, le titre serait chouette: "Die Scheissekeit der Sachen"?

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