samedi 9 janvier 2010

Le général hiver et le prof d’histoire


Les températures sont bien installées en dessous de zéro. Une fine couche de neige recouvre le ville, régulièrement renouvelée par la poudreuse. On est réveillé vers 6 heures du matin (au boulot !) par les petits chasses-neige de quartier et les gens qui grattent les trottoirs et sablent les rues – ou plutôt les « gravillonnent », car il s’agit d’un gravier très fin plutôt que du sable. Grâce à cela, malgré le froid, la neige et le verglas, la ville est fréquentable. Si le général hiver campe, c’est presque en touriste : il est accueilli et canalisé.
Le « général hiver », déjà invoqué le 14 décembre, a inspiré un commentaire ce même jour : « rappelons nous que c'est le même Général Hiver qui vainquit l'armée allemande à Stalingrad! » dû à un certain Fred Belotti. Ceux qui regardent les commentaires (y en a-t-il ?) ont dû trouver tout cela mystérieux. Derrière ce pseudo se cache un de mes plus vieux amis, Fred, qui tient aussi un blog, où il donne des nouvelles de sa famille, qui ne cesse de s’agrandir. Il y a expliqué l’anecdote qui éclaire ce commentaire (le 20 décembre, « My left foot », vers le milieu du post). Pour résumer : nous avions en terminale un professeur d’histoire pitoyable, un certain M. Belotti, qui se contentait de lire ou de résumer des fiches d’aide-mémoire d’un « grand » éditeur (Bordas ?). Il ne savait pas quel général allemand était le général hiver… Il a un jour demandé à un élève ses notes de cours de l’an passé, pour s’en inspirer. C’est sans doute le plus mauvais enseignant que j’aie rencontré : veule, médiocre, fainéant… Un physique à la Besson ; ou plutôt un Besson mou. Croisé avec un Monsieur Hulot dépourvu d’humour et de poésie. Nous rions rien qu’en le voyant ouvrir la porte, cassé en deux, les yeux presque au niveau du trou de la serrure, les lèvres pincées, se battant avec les clés. Ayant vite constaté que nous perdions notre temps, nous faisons nos devoirs en cours, même moi, le passionné d’histoire, je faisais des maths ou autre de chose de plus palpitant. Il le constatait mais n’en pouvait mais ; je crois qu’il se limitait à nous dire de ne pas le faire. Une fois, l’un d’entre nous est sortit de la salle par la fenêtre – nous étions au rez-de-chaussée – juste pour le provoquer. La réponse suivit, molle : « il… il ne faut poâ sortir par les fenêêtres ». Et c’est tout. Un autre jour, il nous passait un film. Le film peut être un outil pédagogique formidable, mais, chez lui (comme chez beaucoup d’enseignants), c’était juste un moyen de ne pas faire cours. Le film est sorti de la bobine ; il s’est emmêlé dedans, les pieds, les mains dans le film dévidé et nous sommes partis, très en avance, par petits groupes, en le saluant, le sourire aux lèvres, mais en le laissant dans la panade, en train de détruire un film.

L’année était apparemment fichue. Or, c’était l’année du bac. Le proviseur nous avait à la bonne et à l’oeil, lui qui venait en classe nous tancer, lorsque les résultats n’étaient pas assez bons : nous devions alors absorber les mathématiques que nous délivrait notre (excellente) prof, Madame Jacob, « comme on tête à une théïère ». Il ne devait pas souvent boire du thé. Mais il trouva la solution : un autre professeur d’histoire, M. Streïff, que nous avions eu en première, se dévoua pour nous donner l’essentiel en quelques cours, comme toujours brillants. Grâce lui soit rendue, il nous a laissé quantité de bons souvenirs, hui ! (selon son interjection favorite).

Nous étions sans indulgence avec M. Belotti. Et encore ! Chaque enseignant sait à quel point une classe peut être une meute : nous n’avons été au fond pas bien cruels. Pour ma part, j’avais même pitié de ce pauvre bougre. Je me suis toujours demandé comment il se regardait, à quel point il se rendait compte du mépris dans lequel il était tenu. Il nous disait qu’il allait devenir professeur en université et suscitait ainsi nos sarcasmes. Nous pensions que l’université ne voudrait pas de quelqu’un déjà nul dans le secondaire. Je sais désormais que les choses sont bien moins simples.

Mais j’ai souvent pensé à lui dans la suite de mes études et aux débuts de ma vie professionnelle. Avec une forme d’angoisse : serais-je capable de ne pas être une sorte de Belotti dans les yeux de mes élèves de collège ? « Belotti, sors de ce corps! » Moi qui y suis (très brièvement) passé, en songeant déjà à enseigner à l’université, j’avais du mal à dire mes souhaits, ou mes rêves, sans penser à Belotti qui avait les mêmes. Il va de soit que je n’en ai pas touché un mot aux élèves, qui ne me rendaient pas la vie facile, sauf le jour où justement je suis parti pour l’université. L’enseignement secondaire est bien plus difficile que le supérieur ! Mais Belotti m’a servi de modèle-repoussoir, au cas où j’en aie eu besoin. Je n’ai jamais réussi à savoir si sa prétention le rendait aveugle face à sa nullité ou s’il retirait de la souffrance de la situation. Mais, s'il n’était responsable ni de sa nullité, ni de son manque d’autorité, ni de sa veulerie, il ne pouvait pas ne pas savoir qu’il ne travaillait pas. Sur ce, je retourne travailler, on ne sait jamais.

14 commentaires:

  1. Petites précisions supplémentaires. Les images hivernales sont toutes de moi et prises ces dernières semaines, sauf celle où Le Gal hiver fait la bise à l'armée allemande.
    Elles sont juste là pour faire joli: il parait que certains textes sont trop longs, alors regardez les images!

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  2. Je ne me rappelais pas le quart des anedoctes que tu racontes mais la mémoire m'est revenue et tu as raison globalement il avait un peu le physique d'Eric Besson en plus maigre, un peu dégarni avec les cheveux délicatement frisotés et une veste à carreaux d'uen propreté douteuse.

    Je ne savais qu'il avait à ce point été ton guide spirituel (car un contre exemple ne montre-t-il pas aussi sûrement la voie ?).

    Sinon il existe d'autres manières d'enseigner l'histoire, celle de Streiff ("t'es fou Lénine !") et aussi celle d'un prof de quatrième M. Masset qui commençait son cours par tirer aux dés qui il allait interroger (nous étions 24 en cours avec chacun un numéro de 1x1 à 4x6, 5 en premier c'était à son choix, et double 6 c'était interro écrite) puis nous passionnait en racontant tout seul l'Histoire assis à son bureau pendant 40 minutes et terminait son cours en nous dictant une synthèse impeccable de tout juste 10 lignes.

    Je l'ai nettement préféré à Croizard qui faissait discrètement des boulettes avec ses crottes de nez en croyant qu'on ne le voyait pas...

    Bonne année Pierre !

    PS : moi aussi ce que je préfère c'est les commentaires !

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  3. Très juste pour l'ignoble veste de Belotti!
    Je n'ai pas eu Croizard (dommage si je te lis bien), mais je me souviens bien des autres. Pour moi, Masset, c'était en troisième. Il riait, de façon un peu sadique, lorsqu'il procédait au tirage au sort. "Ha... héhéhé... double six!" J'aimais néanmoins beaucoup ses cours. Je buvais ses paroles et n'apprenais strictement rien: tout s'imprimait directement dans ma mémoire, c'était formidable. Je me souviens aussi d'une bagarre avec Jérôme (Baba) dont Masset avait vu, je crois, la fin. Jérôme m'avait un peu cherché et je lui avait stupidement sauté dessus par-dessus le bureau du prof, sur l'estrade.
    En seconde, il y a eu Edelmann (Nicole?), qui, elle, a enseigné en fac. Pas une mauvaise prof, même si je m'entendais mal avec elle. J'étais à l'époque assez farouchement anti-communiste et je crois qu'elle l'était (on ne rit pas).
    Fin du radotage des anciens combattants?

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  4. Eh bien moi, je n'ai pas eu Belotti ni Streïff, mais j'ai eu Croizard l'année de son départ à al retraite et c'était un vieux monsieur (enfin... du haut de mes 12 ans, c'était un vieux monsieur) fantastique doté d'un humour très à-propos (je me souviendrai toujours de sa remarque, alors qu'un élève se levait pour jeter quelque chose à la poubelle : "tiens, qu'est-ce que c'est ? Un croisé qui s'est perdu ?"). j'ai eu aussi Masset, bon, le coup des dés, c'était assez casse-pied pour ma copine, sur qui les dés tombaient toujours, si bien qu'elle récitait sa leçon au moins 2 fois par mois et moi jamais. Et puis, Fred, les dés avaient quelque peu vieili et, étant des gommes sculptées en forme de dés, ils tournaient plus mal...

    Pour le reste, des remplaçants tellement lamentable qu'il n'est pas la peine d'en parler et d'autres qui tentaient de faire tout ce qu'ils pouvaient pour nous faire avaler des séries de dates.. Et à la troisième étude de la première guerre mondiale, on est quelque peu lassé. je comprends pourquoi beaucoup de jeunes ressortent dégoûtés de l'histoire... et certains ministres également...

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  5. Ach! Provokation! Qui ose faire allusion au commercial Châtel, ci-devant ministre de l'Education nationale (dit-on, mais ce doit être une blague)?

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  6. Non, non, je ne fais que des commentaires très sérieux sur ce blog. D'ailleurs, je suis quelqu'un d'extrêmement sérieux. Et puis qui t'a dit que je parlais de Châtel ? Sans être ministre, Morano n'est pas mal dans le genre non plus.

    Remets-toi, nous aimons l'histoire quoiqu'il en soit et heureusement, certains profs ont su nous l'enseigner !

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  7. Je plaisantais... Même si Chatel (avec ou sans "^"?) me hérisse le poil. Fort heureusement je ne suis pas trop velu.
    De toute façon, un prof ne peut pas faire l'unanimité. Il peut aussi être bon une année moins l'autre. Les perceptions sont très différentes, comme je le vois avec Masset (que j'aimais bien, même si les dés c'était sadique; et tu as raison, c'étaient des gommes!) ou Croizard.
    Du reste, si je me cure le nez, suis-je un mauvais prof? Je me tâte (le nez).

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  8. Frédéric Lefèbvre11 janvier 2010 à 21:53

    Des professeurs d'histoire socialo-communistes exilés en Allemagne se permettent de critiquer le ministre de l'éducation nationale. C'est d'autant plus un non sens que même si un ministre, comme un professeur, ne peut pas faire l'unanimité, près de 53% des français se curent le nez plus ou moins une fois par jour. Cette majorité quoique silencieuse soutient sans ambiguïté l'action du président de la république rendant vaine l'agitation et la propagande des taupes trotskistes de l'éducation nationale.

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  9. "Bon appétit, Messieurs! O ministres intègres! - Conseillers vertueux! Voilà votre façon - De servir, serviteurs qui pillez la maison." (Totor)

    C'est amusant, mais quand on tape "ministres impies" sur Google, le 2e choix est le site du gouvernement français, sa composition de janvier à juin 2009.

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  10. Merci Totor ! Heureusement qu'il a écrit parce qu'on peut le ressortir à toutes les sauces. il est incroyablement actuels. N'oublions pas non plus que les profs trotskistes exilés sous la neige ont, un temps, versé plus à droite... et collé beaucoup d'autocollants pro...non, j'arrête ici la délation !

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  11. Fred Masset-Bellotti-Lefebvre12 janvier 2010 à 19:56

    Mais qui es tu donc ô anonyme qui as eu Croizard et Masset mais pas Streiff et Bellotti et qui connais si bien le lourd passé de Pierre. C'est vrai que cette conversion de Pierre témoigne du caractère hautement corrupteur de l'Education National...

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  12. Je pense qu'on n'est jamais si bien trahi que par sa famille...
    Mais le fait est qu'on peut signer un commentaire!

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  13. Ah bon, on fait comment ???? ON m'a pas dit à moi... Et puis je croyais que c'était à la mode de ne pas dire son nom.

    Donc moi, anonyme, c'est Christine F., 13 ans...

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  14. Chère Christine F.,
    Je pense maintenant que tu en as trop dit ou pas assez. Il est temps de faire enfin toute la lumière sur Pierre F. Bien qu'ayant un certain privilège d'ancienneté j'ai quand même manqué quelques épisodes... notamment celui des affiches!

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