lundi 9 novembre 2009

9 XI 9

Rassurez-vous, je vous épargnerai une leçon d’histoire, vous devez en avoir presque la nausée de la chute du mur. Donc, rien sur les manifestations, rien la somptueuse bourde du porte-parole du gouvernement de la DDR au soir du neuf, rien sur la foule sur le mur, rien sur Rostropovitch. Mais je ne pouvais tout de même pas rester silencieux aujourd’hui. Ce sera par le biais de deux témoignages de gens qui n’y étaient pas…

Le professeur berlinois
L’excellent enseignant que nous avions en octobre au Goethe-Institut est Berlinois. C’est un grand gaillard un peu dégarnit, aux cheveux gris, très énergique, bavard comme pas deux, j’aurais peut-être l’occasion de reparler de lui. Dans un cours, alors qu’il était question de cette époque, quelqu’un lui a demandé où il était ce jour là. Il n’en fallait pas plus pour qu’il déroulât ses souvenirs de 1989. S’il est né à Berlin, il a trouvé du travail à Munich où il vivait déjà à l’époque. Mais il allait très régulièrement à Berlin, où il avait des amis des deux côtés du mur. On l’oublie, mais les Allemands de l’ouest pouvaient relativement facilement aller à l’est, si ce n’étaient des nombreuses tracasseries administratives. Il y allait donc, parcourait la ville, voyait ses amis, chez eux, ou dans les bars, les restaurants, les Kneipe. S’il était le 09 novembre à Munich, il avait suivit de près les événements ; il était encore à Berlin-Est moins d’une semaine auparavant. Or, il constatait avec étonnement que l’ambiance et l’attitude des Allemands de l’Est avaient radicalement changé. Il faut bien se représenter la société grise, la société de la peur qu’était la DDR, dans chaque détail de la vie quotidienne. Dans les restaurants, personne ne pouvait s’asseoir où il voulait. Le serveur plaçait les gens, même contre leur gré, sur des petites tables. La pratique parait incongrue en Allemagne, où l’on s’assoit où l’on veut, là où il y a de la place, sur de grandes tables qui favorisent les toasts et les conversations. C’était justement une façon très efficace d’interdire tout regroupement. Bien sûr, personne ne parlait de politique, et surtout pas à un ouest-allemand. Dans le secret des foyers, on était aussi prudent et méfiant. On regardait souvent la télévision de l’ouest, mais on le cachait. Il fallait alors bien éduquer les enfants, qui pouvaient trahir les parents sur ce qu’ils regardaient lorsque les instituteurs les interrogeaient. Il y avait bien sûr des communistes sincères qui ne regardaient que les médias officiels de la DDR. Cela posait des problèmes quand un couple se formait, dont l’un avait regardé avec ses parents la télévision de l’ouest, et l’autre celle de la DDR. C’étaient de véritables couples mixtes. Le Professeur - appelons le Monsieur H. - nous a cité le cas d’un couple de ses amis, dont l’épouse, issue d’une famille de vrais communistes, avait caché jusqu’en 1989 que la famille de son mari avait d’autres sources d’information.
Et voilà qu’à Berlin-Est, cet automne-là, il est entraîné par des amis dans un café. Il s’asseyent d’eux-mêmes, sans attendre d’être placés, ce qui était déjà en soi un acte de rébellion. Pire, ils engagent une conversation animée avec leurs voisins, des inconnus, et critiquent le gouvernement, bref parlent de politique. Personne ne se cache de regarder la télévision occidentale, qui est la meilleure source d’information sur les manifestations en cours dans la DDR. De ce moment, affirme Monsieur H., j’ai conclu que la DDR était finie, ce n’était qu’une question de temps. Il prétend l’avoir annoncé à son retour à Munich et que tout le monde l’a traité de doux rêveur. Le fait est que même lui fut surpris par la rapidité de l’effondrement et surtout des événements de la nuit du 09 novembre. C’est un couche tard, il a donc eu la chance de tomber au milieu de la nuit sur les informations. Stupéfait, bouleversé, il a décroché son téléphone pour joindre ses amis sur place, personne ne répondait. Il a essayé partout, a veillé toute la nuit. Très tard, une amie est-allemande l’a finalement appelé : «Je t’appelle de Berlin. De Berlin-ouest, tu te rend comptes ?!! » Ses amis avaient naturellement tous sauté le mur. Il lui a fallu quelques jours de plus pour les rejoindre, le temps que fondent les plaques de verglas qui rendaient les autoroutes impraticables – bien sûr, les trains étaient pris d’assaut. « Verstehen sie, ich bin berliner. » ajoutait-il, très ému par son propre récit. Il n’était pas le seul dans la salle. Les Bavarois étaient de leur côté restés impassibles, voire insensibles aux événements. Comprenez bien : ils sont avant tout Bavarois.

Un étudiant à Paris
Ce qui m’a fait comprendre que nous, à Paris, avions ressenti l’événement avec plus d’intensité et d’émotion que les Bavarois. J’étais étudiant dans une des universités de la Sorbonne. Quel étudiant en histoire n’est pas passionné de politique ? Quel observateur même peu averti comme nous l’étions n’aurait pas senti le vent de l’histoire passer avec fracas ? D’autres raisons ont fait que le 09 novembre 1989 a profondément touché des gens comme moi. Nous avions vécu avec effroi le massacre de la place Tien-An-Men en juin de la même année. J’appartiens aussi à une génération qui a été éveillée à la politique et à l’actualité dans la guerre froide, dans l’Europe divisée, qui a vécu la crise des missiles des années 1980 (SS-20 soviétiques, contre Pershing de l’OTAN). Par l’histoire de ma famille et mes études, je savais que cette situation n’était pas normale, que l’Europe ne s’arrêtait pas à la frontière de la BRD. Sans doute une ambiance familiale anti-communiste, qui m’a peut-être conduit à quelques errements politiques, a-t-elle joué aussi dans l’attention portée à ce qui se passait à l’est, et rendu hyper-sensible a ce que vivaient les hommes vivant dans ces dictatures – sans parler d’une germanophilie contractée à l’adolescence. Mes héros étaient Soljenitsyne, Havel ou le syndicat Solidarnosc. Et voilà que sous nos yeux, les citoyens de la DDR brisent le masque de la « vie dans le mensonge » (Havel), proclament « Wir sind das Volk » ; voilà que ce mur, avec qui je suis né, cette plaie béante au coeur de l’Europe, s’effondre en deux-temps trois mouvements sous l’effet de ces marées humaines – et bien sûr du processus lancé par Gorbatchev. Autant que je me souvienne, nous ne parlions que de çà et dévorions l’actualité. Dans les semaines qui ont suivi, les étudiants n’ont cessé de se précipiter à Berlin, prenant eux aussi d’assaut les trains : il fallait y être. Je regrette aujourd’hui de n’avoir guère été audacieux et d’être resté à Paris pour discourir. Il n’empêche, ces jours-là m’ont profondément marqué et le récit de Monsieur H. m’a sans doute ému plus que les autres.

Et après ?
Bien sûr, il y eu les ratés de la réunification, les mensonges du gros Kohl, prêt à tout pour devenir le chancelier de la réunification : dans l’Allemagne réunifiée, l’Est se recouvrirait immédiatement de paysages prospères. Les « Blühende Landschaften » de Kohl sont restés célèbres, tant l’économie a vite été ruinée et le chômage a explosé. Bien sûr, les Allemands de l’Est comme les autres peuples voulaient la liberté, pas le capitalisme sauvage et ils ont eu les deux, le second altérant sérieusement la première. Bien sûr, les retrouvailles entre les deux Europe ont été ratées, alors que ç’aurait dû être une colossale fête. Mais ils ont conquis leur liberté, et ça n’a pas de prix. Au fond, c’est surtout ce que je retiens et qui fait que ce jour est pour moi encore émouvant.

1 commentaire:

  1. Eh bien moi non plus je n'y étais pas... mais j'ai failli. A cette époque j'étais en école d'ingénieur à Lille et suite aux premiers événements certains ont suaté dans leur voiture et filé nach Berlin. Moi trop bon élève, trop sage, etc (ça c'est pourtant gaté vite cette année là) je suis resté ne voulant pas sécher les cours ! Dommage. Enfin si un jour je deviens président de la république je m'arrangerai quand même pour dire que j'y étais !
    Bises Pierre et à bientôt
    Fred l'Issoirien

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