dimanche 15 novembre 2009

Gloire au Goethe-Institut !


Septembre et octobre n’ont pas constitué pour moi simplement la saison des champignons, mais surtout celle des cours au Goethe-Institut. Il est un peu étrange de redevenir étudiant, de réviser ses cours, d’être interrogé, de faire des devoirs chez (Hausaufgabe), sur place et d’attendre presque avec appréhension la note. J’en ai passé l’âge, mais cela restera parmi mes plus beaux souvenirs de cours.

L’institution occupe l’essentiel d’un immeuble moderne d’une rue du centre de Munich, la Sonnenstrasse, qui suit le tracé des remparts du Moyen Âge. Immeuble et décors sobres, un peu froids, fonctionnels, avec comme seule fantaisie l’omniprésence du liseré vert qui caractérise le Goethe-Institut. Il ne faudrait pas s’y tromper : cette modestie apparente cache mal les importants moyens dont bénéficie l’Institut. Du personnel d’abord : administratif bien sûr, d’accueil (dont les fameux Zivis), mais aussi des bibliothécaires et des enseignants parmi les meilleurs du genre. Toutes les salles sont naturellement équipées en rétroprojecteurs et matériel de toute sorte, notamment audio. La Mediothek, au dernier étage, est un très bel endroit pour travailler : une grande quantité de livres, dont une foule surprenante de méthode de langue, de grammaires, de cahiers de vocabulaire, certes, pour la seule langue allemande, mais écrits pour des dizaines de langues ou peu s’en faut ; une splendide collection de dictionnaires où il fait bon se perdre, des guides, un peu d’histoire, de géographie ; des romans, classés en fonction du niveau de langue – connu de tous, puisque les cours sont donnés par niveaux au sein duquel nous sommes placés après un test initial. On y trouve aussi l’inévitable matériel pour des cours de langue, cassettes (eh oui, encore ! mais c’était leur dernier mois) et CD que l’on peut écouter dans une salle audio isolée, des DVD, des collections d’exercices, des annales d’examens, etc. Enfin, une salle informatique où certes les cours peuvent se tenir, mais où les étudiants ont accès à tout, peuvent imprimer et photocopier à volonté. Un peu d’eau dans un distributeur, la presse, les revues, l’actualité culturelle de la ville, que demander de plus ? Les bibliothécaires ont fait des études de germanistique, ce qui leur de guider aisément les étudiants. Nous recevons tous, chaque mois, un grand classeur avec des intercalaires où l’on peut classer les innombrables photocopies que donnent les enseignants (déjà perforées…). Les livres de langue sont distribués également. On comprend, dans ces conditions, que le prix des inscriptions soit assez élevé.
Peut-être le Goethe-Institut a-t-il d’autres entrées d’argent puisqu’il vend désormais des produits dérivés, présentés dans une vitrine : cahiers de notes, stylos, parapluies, sacoche, sac à dos, tapis à souris, teee-shirt, etc. Il est donc possible de vivre totalement dans l’ambiance Goethe-Institut, il ne manque plus que des sous-vêtements.

Les classes ne dépassent pas, à ma connaissance, une quinzaine de personnes, ce qui influe beaucoup sur la qualité de l’enseignement et sur notre travail. On se connaît très vite, surtout lorsqu’on est inscrit dans un cours « Intensiv 4 » comme moi : quatre heures de cours cinq jours sur sept pendant environ quatre semaines, deux à trois fois plus que ce que font des étudiants d’un groupe de travaux dirigés sur un semestre universitaire. On se parle pendant les pauses, mais tout est fait par ailleurs pour que les étudiants se fréquentent et découvrent activement la région. Beaucoup sont logés dans un autre immeuble de l’Institut, où ils ont des petites chambres individuelles et des salles communes. Les Zivis organisent surtout une multitude de sorties, qui ont lieu tous les jours. On fait découvrir la ville sous toutes ses facettes : musées, châteaux, expositions, promenades guidées dans le centre, dans les grandes manifestations (Oktoberfest), et ce le matin et l’après-midi pour chacun puisse y participer sans prendre sur les heures de cours. Le week-end, ce sont des excursions plus longues, comme tel monastère de la campagne (Andechs) ou les châteaux de Louis II. Est aussi proposé chaque mois un Weißwurst-Frühstück. Des sorties culturelles à prix raisonnables sont organisées au théâtre, à l’opéra (10 euros). Qui plus est, tous les jeudis, pendant la belle saison (cette fois-ci jusque début octobre), on rassemble ceux qui le veulent dans un Biergarten, toujours le même, puis, à partir d’octobre, dans une Stammtisch d’une brasserie du centre. La Stammtisch est une institutions typiquement allemande : les groupes d’amis, de conscrits, d’exilés, de collègues, d’intérêts communs, réservent une table dans une brasserie ou un bar, à jour fixe, pour se retrouver et deviser en vidant des bières. On comprend que, dans ces conditions, des liens étroits puissent se tisser rapidement entre les étudiants de toutes origines.

Car le Goethe-Institut est une vrai Babel. Les couloirs résonnent de dizaines de langues différentes, du mois quand des mêmes nationalités se rencontrent. La langue des échanges est, pendant les pauses, l’anglais pour ceux qui débutent dans l’apprentissage de l’allemand (ceux du premier niveau, Grundstuffe), mais très vite l’allemand, pour ceux des deux niveaux supérieurs. L’allemand devient alors une langue internationale, colorée de d’accents très variés. En deux mois, j’ai ainsi côtoyé au quotidien trois Français, deux Russes, trois Japonais, une Brésilienne, une Suissesse du Tessin, un Mexicain, une Serbe, une Espagnole, un Saoudien, un Omanais, une Coréenne, un Mexicain, un Hongrois, un Américain, une Polonaise, un Belge flamingant, une Turque, un Tchèque. Mais j’ai entendu beaucoup d’Italiens, de Grecs, une Ukrainienne, un Irlandais, un Roumain… Les accents se mêlent et l’on reconnaît aisément les origines grâce aux défauts de prononciation. Les Français, comme on s’y attend, l’ont exécrable. Ils aplatissent la langue, la ramollissent, lui ôtent la musique. Mais les Japonais nous concurrencent, tant ils sont difficiles à comprendre. D’une part parce que leur réserve (qui n’est pas légendaire) fait qu’ils parlent très peu, ce qui n’aide pas à progresser. Ensuite parce que leur palais est formé par une langue très éloignée ; la confusion entre le « l » et le « r », qui a donné lieu à une scène comique de Lost in Translation, n’est pas une cliché. Je me suis senti plus d’une fois Bill Murray (ce qui n’est pas mal, ma foi). Les néerlandophones, de façon surprenante, sont difficiles à comprendre ; on a l’impression qu’ils parlent allemand avec de la purée dans la bouche (le w sont ainsi prononcé oue).
Tous sont curieux, ouverts, aventureux : nombre d’entre eux ont chois de vivre et de travailler ici, de façon permanente ou temporaire, pour l’expérience, ou du moins apprendre plusieurs langues pour progresser dans leurs études, dans leur métier. Tous ne sont pas pour autant faciles d’accès. Il faut du temps pour prétendre avoir une conversation avec les Japonais, mais ils sont d’une courtoisie et d’une élégance de comportement rare. Les Russes sont complexes. J’ai dit en avoir rencontré un drôle et sympathique, mais c’était bien le seul ; on rencontre surtout des jeunes femmes, sophistiquées, hautaines, cachées derrière une épaisse couche de maquillage, superficielles, ignorantes et arrogantes. Moi qui partait avec un a priori très favorable à tout ce qui était de près ou de loin russe, je suis tombé de haut. Il faut croire que la sociologie des Russes qui fréquentent le Goethe Institut est particulière.

Les professeurs se débrouillent admirablement bien de cette diversité. Ils sont là pour nous faire travailler et y parviennent : la masse de travail quotidien avoisine les trois heures, pour qui fait simplement ce qui est demandé. Mais il vaut mieux lire les journaux, réviser, faire des exercices supplémentaires, que sais-je encore. Je n’ai eu que deux enseignants, assez différents de tempérament, mais tous les deux passionnants. Les cours sont véritablement interactifs. S’ils savent où ils veulent nous conduire, s’ils s’adaptent en permanence aux questions, qu’ils suscitent, aux réactions, aux erreurs. Le cours a une base, un programme, mais il se construit avec la classe, sans pour autant que les places ne soient confondues. Au total, j’ai rarement autant appris, rarement autant pris plaisir à apprendre – car on rit beaucoup. Quel contraste avec l’enseignement reçu dans le secondaire français, où je me suis mortellement ennuyé ! J’ai même pris du plaisir avec la grammaire, c’est tout dire.
Ces fortes personnalités nous ont accompagné, en fin de mois, dans ce qu’on pourrait appeler des after. Il s’agit à vrai dire d’une tradition, mais qui n’est pas instaurée, une pratique vers laquelle personne ne nous pousse, sinon le désir, à chaque fois, de conclure ce mois par une fête avec le prof. Avec le premier, ce fut une épique soirée à l’Oktoberfest. Monsieur K. (1re, photo de classe et ci-dessus), petit bonhomme en rondeur, toujours souriant, un rien espiègle, tient bien l’alcool (au moins 4 Maß de bières) et doit s’y perdre. On finit par le tutoyer. Monsieur H. (2e photo de classe plus haut et ci-contre), grand gaillard venu de Berlin, est plus intimidant, par sa colossale culture, l’énergie débordante qu’il dépense en cours, y compris physiquement en faisant force imitations et gestes pour nous faire rentrer – avec succès – la phonétique dans le crâne. Mais c’est sans doute un des meilleurs enseignants que j’aie rencontrés de ma vie. Bon vivant aussi, il nous entraîné dans une brasserie où il a ses habitudes et il aurait sans doute pu aussi encaisser l’Oktoberfest.

Je suis ressorti de là en ayant beaucoup appris, rencontré des gens passionnants et en ayant eu envie d’enseigner autrement. Alors, oui, gloire au Goethe-Institut !

1 commentaire:

  1. Heureuse Pierre que tu viennes de découvrir la formation pour adultes : elle est riche et inventive! Et effectivement, si on faisait de même dans le secondaire, toi, moi et bien d'autres ne se seraient pas tant ennuyés dans leur scolarité.

    RépondreSupprimer