jeudi 3 mars 2011

Guttbye

On l’appelait parfois « Gutti ». Depuis quelque temps, c’est « Dr Copié-collé » ou « Dr Googleberg » (ici). Karl-Theodor zu Guttenberg a démissionné avant-hier, d’où le titre que j’emprunte à la Süddeutsche Zeitung (pourtant avare de jeux de mots). Sa situation devenait intenable, tant le plagiat était avéré : ces derniers temps, on en était réduit à rechercher ce qui pouvait avoir été écrit de la seule main de l’auteur, et ce n’était pas évident. Il paraît probable qu’il a utilisé un « nègre », mais il ne peut l’avouer, la tricherie serait encore plus grave. Il est donc condamné à assumer le plagiat de ses « nègres » peu scrupuleux.

(Stern)
Très raide, le ministre de la défense a annoncé son retrait en invoquant le fait que les attaques personnelles nuisaient à sa mission, par exemple lorsque « l’attention publique et médiatiques se concentre presque exclusivement sur la personne Guttenberg et sur sa thèse et non, par exemple, sur la mort et la blessure de 13 soldats allemands ». Il souhaite que son sort ne nuise pas aux soldats (texte ici, vidéo ou ). Habile façon de renvoyer la balle aux médias, implicitement accusés de ne pas traiter l’actualité sérieusement. Un brin de démagogie ne nuit pas. Ou d’aveuglement : on n’est au fond pas loin de la lettre de démission d’Alliot-Marie, qui « a trop de respect » pour le personnel de son Ministère pour accepter qu’ils soient victimes de attaques qui la visent (voir ici). Disons simplement que dans l’échelle de la faute, MAM est allée bien plus au que KTvG, parce que c’était dans l’exercice de se fonctions, parce que cela nuit vraiment au pays et parce qu’elle est dans le déni total. Il faut dire qu’elle est aussi bien moins glamour et un rien plus bête.
(AFP)
Revenons au baron. L’homme reste populaire. Mais nul ne connaît les conséquences de cette affaire. Des poursuites judiciaires pourraient être engagées, alors qu’il a perdu toute immunité. Le plus grand espoir de la politique allemande risque fort de voir sa carrière brisée. À moins que les Allemands ne soient aussi oublieux que les Français - Songeons aux Chirac, Juppé, Balkany, Emmanuelli et j’en oublie. En attendant, il pourra essayer de rédiger seul une thèse.
(Blog Fachanwalt für It-Recht)
Mais comment donc a-t-il été possible que cette thèse soit suivie et approuvée par un Professeur de Droit respecté, reçoive la mention la plus élevée et soit publiée chez un éditeur reconnu, alors que n’est qu’un montage, un tissu de plagiat ? Comment est-ce possible dans la sérieuse en Allemagne ?

La réponse est simple. J’ai pu assister en janvier dernier à une soutenance de thèse d’un doctorant de l’équipe de recherche qui m’héberge. La soutenance n’est pas une épreuve pénible. Elle ne dure qu’une heure et aucun des trois membres du jury – pourtant fort sérieux – n’évoque le fond de l’affaire, ni les détails de l’ouvrage. Ce sont des gentilles questions qui sont négligemment posées au candidat. Celui-ci semble sérieux, mais ce n’est pas la soutenance qui permet de le vérifier. Elle constitue à peine un rite, en rien un examen. Le jeune Docteur avait beaucoup travaillé, j’en suis témoin. Son Directeur de thèse (Doktorvater. Parle-t-on d’une Doktormutter ?) est sérieux et connu. J’ai pu consulter le résultat de ce processus aujourd’hui, avec un collègue allemand. La thèse est mauvaise. Certaines erreurs méthodologiques ne seraient pas admissibles d’étudiants de master. La thèse n’aurait pas dû être soutenue et n’est certainement pas publiable en l’état. Les membres du jury l’ont-il lue ? J’en doute. Ils n’en ont pas le temps et on a laissé un jeune doctorant plein de courage s’égarer. Avec la soutenance, on croyait qu’il était brillant. Je suis détrompé.
En Allemagne, il est donc courant que les Professeurs ne suivent pas leurs doctorants, ni ne lisent leurs thèses, qu’ils soient Directeur du travail en question ou simple membre du jury. On comprend donc que personne n’ait vu le plagiat du baron avant l’universitaire, qui, chargé d’en écrire un compte-rendu, fut le premier lecteur sérieux de l’ouvrage et s’étonna de son aspect disparate. Il se connecta sur Google et l’on connaît la suite.

1 commentaire:

  1. Il faut dire aussi qu'en Allemagne, plus on écrit, mieux c'est (je ne sais pas comment c'est ailleurs, à part en Italie où c'est pareil). La thèse de KT fait plus de 700 pages, non? Qui peut lire ça?

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