lundi 10 mai 2010

Noir c’est noir




Avril fut donc grec. Je m’en suis allé avant l’implosion actuelle, mais le climat y était déjà sombre. Depuis mon dernier séjour, il y a un an, la misère a explosé, si j’en juge par l’envahissante mendicité, ou par les innombrables vendeurs à la sauvette qui occupent tous les trottoirs du centre et des grandes rues. Dans le métro, on se fait régulièrement dépouiller : mon portefeuille doit faire les délices d’un voleur, d’autres ont essayé de réitérer le coup au moins deux fois. Parmi les gens qui vivent en Grèce que je connais, il n’en est pas un qui ne se soit fait voler, fracturer sa voiture, voire agresser. Les voleurs agissent en petite bande, vous distraient, pendant ce temps, ouvrent les sacs, à la main, ou à l’aide d’une lame. Bien souvent on ne s’aperçoit de rien, bravo les artistes ! On dira que ces gens là ne sont pas Grecs. Le fait est que les vendeurs à la sauvette se répartissent entre Africains (les sacs, les vêtements) et Sri Lankais ou Pakistanais (les jouets, les lunettes, les babioles…), mais ils vendent, ils ne volent pas. Les Albanais, comme les Roms, sont régulièrement accusés des vols et des cambriolages, mais les Grecs les détestent... A mon sens, les meilleurs voleurs sont les taxis athéniens, tous Grecs. Quand bien même les vols et la mendicité seraient l’œuvre des nombreux immigrés qui vivent à Athènes, leur explosion est bien le signe qu’il ne leur reste que cela pour survivre, qu’il y a de moins en moins de travail pour eux, de ces innombrables petits boulots dont ils vivaient. C’est un des indices de ce que ce pays s’enfonce, s’il en était besoin.

L’éruption sociale actuelle, le climat par moments quasi-insurrectionnel, repose sur une tension ancienne et palpable ce printemps, mais déjà, aussi, l’an passé. Les heurs entre la police et les manifestants, disons de l’extrême gauche, surtout anarchistes, ont toujours été d’une grande violence, et ce des deux côtés.
Cette rue, dans le quartier d’Exarchia, entre la colline du Lycabette et le Musée national, se trouve dans le quartier tenu par les anars. Elle a été rebaptisée par eux du nom de l’adolescent tué par une balle de la police en décembre 2008, lors - déjà - de violentes échauffourées dans le quartier.



Une plaque en marbre a même été édifiée à l’endroit de sa mort, comme une plaque officielle.


Ce quartier, longtemps à l’abandon, un peu pourri, est rempli de squats, mais aussi de façades délabrées, vite mises à profits pour peindre de grandes fresques protestataires, dont voici quelques exemples (en haut et ci-dessous).


Plus amusant, plus bon enfant est l’ambiance qui règne sur une friche, qui a été reconquise par les autonomes du quartier pour en faire un jardin participatif. Un petit quartier de maisons est ainsi devenu verdoyant, grâce à l’apport de terre, de plantes, à un arrosage régulier. Des bancs, des tables, des jeux d’enfants y ont été installés. Au centre du jardin communautaire se trouve une bicoque qui fait office de café.

Les habitants du quartier ont conquis un terrain à l’abandon, sur lequel, ils n’ont, bien sûr, aucun droit de propriété. Mais qu’est-ce que la propriété en Grèce, pays qui en connaît la plupart du temps pas de cadastre ? Au moins a-t-on évité une décharge sauvage et créé un petit poumon vert.

Voilà qui est en tout cas symptomatique du rapport des Grecs avec la chose publique, en particuliers dans les milieux autonomes ou anarchistes. La violence en participe. Mais il faut bien se rappeler ce qu’est l’État en Grèce. Ce fut, jusqu’au début du XIXe siècle, un État étranger - l’Empire ottoman. Puis un État très instable. Une dictature dans les années 1930, une autre au milieu du XXe siècle, après une sanglante guerre civile et une non moins sanglante répression. La démocratie n’existe que depuis 1974, mais la méfiance vis-à-vis d’un État, qui est encore passablement corrompu, et dont la police est violente, demeure très forte.

Et comme l’impression est que ceux qui souffrent le plus vont le plus payer pour les drastiques mesures d’austérité, ce n’est pas prêt de changer.

4 commentaires:

  1. En passant...
    Sur le temps long, tu as raison, une démocratie récente, un Etat défaillant, du népotisme, ok. Mais ceux qui sont dans la rue, ils sont nés bien après 1974. C'est la génération 800 euros, qui a fait plusieurs années d'études, et qui, quand elle a du travail, gagne des clopinettes.
    Moi, ce que j'entends d'ici, c'est les lieux de réunion, des cafés d'Exarchia, détruits, qui brûlent "mystérieusement", et des jeunes anars (sans d) arrêtés à la pelle dont on a pas de nouvelles depuis le 1er mai... La violence de la population répond à la violence policière. Et elle est tellement médiatisée qu'il paraît que même les Russes n'osent plus venir. Ce serait drôle si ça n'était pas tragique...

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  2. Je crois justement avoir évoqué la violence de la police, qui est bien connue: cette police est très dangereuse, par goût, par habitude, aussi par incompétence, parfois.
    Mais je persiste: la société grecque a une longue histoire de violence, qui se transmet de génération en génération. L'État a toujours été violent - la police a-t-elle été purgée après les colonels? Mais il y avait aussi un terrorisme d'extrême gauche très présent jusque dans les années 1990.
    D'accord aussi pour la légitime révolte de la jeunesse, que l'on abandonne dans des conditions lamentables, dans une société de plus en plus dure et inégalitaire.
    Mais c'est trop simple, trop facile, de considérer que cette violence est uniquement une réponse à celle de la police.
    En Grèce, c'est souvent la faute de l'autre...

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  3. Oui tu as raison, je me suis mal fait comprendre. Je voulais souligner le fait que les autorités, au lieu d'être dans l'apaisement, sont dans l'exacerbation des tensions (ce qui permet de trouver d'autres méchants que les corrompus et de porter le regard ailleurs). Et que la violence, elle n'est pas que physique, elle est surtout politique, économique et sociale.
    Mais je crois pouvoir dire sans trop me tromper, que si tu imposes en France les mêmes lois de restriction qu'en Grèce, tu auras tout autant de violences dans la société, malgré un régime démocratique plus ancré dans l'histoire.
    Voili voilou!

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  4. On le saura peut-être bientôt si l'on passe comme chez eux brutalement à la retraite à 65 ans... (par exemple)

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