lundi 24 mai 2010

La fabrique du lieu culte

Des concerts classiques forcément un peu guindés par le rite, des cérémonies religieuses en pagaille, des fêtes où on se tape sur l’épaule et sur le ventre, une population dont le principal loisir est de boire des litres de bière, vêtu d’une culotte de peau et d’un chapeau ridicule : résumé ainsi, Munich paraît bien provinciale. Y a-t-il des jeunes ? Une véritable vie nocturne ? Ce n’est pas a priori évident : il n’y a pas un quartier qui concentrerait les lieux de nuit, bien visible, ni une omniprésente effervescence comme à Berlin. On doit chercher la nuit, un peu cachée derrière les sobres façades. Munich possède nombreux bars, par exemple dans le quartier étudiant de Schwabing – elle est tout de même une des plus grosses villes étudiantes d’Allemagne. La vie nocturne semble même relativement intense sur le papier, vu le nombre de « partys » officiellement recensées. Mais tout est dispersé.

Il est tout de même un lieu qui concentre la vie nocturne, que j’ai découvert vendredi dernier, la Kultfabrik. Derrière les voies de la gare de l’Est (Ostbanhof), dans un quartier un peu sinistre, un grand ensemble hétéroclite de bâtiments industriels a été réuni dans ce qui se veut le plus grand lieu nocturne d’Europe. Je n’ai pas assez d’expérience pour vérifier cette assertion. Le kitch est de règne et l’exotisme est saisissant dans cette ville en apparence sage, propre, policée et restaurée à grands frais. Ici, on ne trouve que des bâtiments foutraques, de guingois, hangars, ateliers aux toits de tôles, aux vastes tuyauteries désaffectées, escaliers de fer branlants qui descendent des étages, recouvert de panneaux criards et variés, stands de döner et de boissons sucrées. On n’a peur de rien : voici le club Kalynka (bien avant son ouverture) et sa grande tête de Lénine – vous êtes bien en Bavière – son décor approximatif et son panneau qui renvoie à son voisin… Le New Yorker, qui fait dans le «table dance». Un peu avant se trouve mon préféré, le « Schlager Garten ». L’endroit convient aux amateurs, nombreux de Zürich à Salzbourg en passant donc par Munich (et bien au-delà), de cette musique très populaire et entraînante, la Schlagermusik, qui est à la musique pop ce que la Maß de bière industrielle est au Vosne Romanée. C’est la musique de l’Oktoberfest. Gai et pouët pouët, avec des morceaux de synthé dedans (quelques exemples ici, admirez le clip qui va avec).



Mais il y en pour tous les goûts dans la bonne vingtaine de boîtes qui composent la Kultfabrick. La nuit tombée, la foule est dense dans les ruelles et tous les hangars résonnent des beats puissants. L’alcool coule à flots, la police est là, plus ou moins discrète, pour veiller aux hordes d’ados et de moins jeunes qui viennent danser pour pas cher. Un homme, titubant dès onze heures, m’a demandé où était le « Partybus ». Car la mairie a mis en place une ligne spéciale de bus pour rapatrier les fêtards et éviter la tentation de la voiture, grande faucheuse de jeunes noctambules.

Les clubs ont parfois des soirées communes. Voici la publicité de l’un d’entre eux, prise dans le journal de la Kultfabrik : le « Männerabend », la soirée des hommes (XXL dit-on). Non, rien de gay (c’est ailleurs), mais la unique soirée pour les 25 clubs où l’on réalise les « tous les rêves des hommes ». Donc : bière à volonté, XXL-BBQ (Q rime ici avec saucisse), concours de tee-shirt mouillé, peinture sur corps, Go-gos, domptage de taureau (mécanique supposé-je), concours de force, d’empilement de casiers de bière (Kistenstapeln), acrobaties en moto, etc. Le rêve non ? Ah zut, c’était le 12 mai.


Mais qu’allais-je faire dans cette galère ? Outre la curiosité, c’est surtout un concert qui m’a poussé là. Car la Kultfabrik recèle aussi un des lieux de concerts les plus prisés de Munich, la Tonhalle. Comme son nom l’indique, c’est une halle, sans doute un ancien atelier, facilement aménageable pour des concerts et bien d’autres événements. Vendredi, c’était le Gotan Project qui s’y donnait. Il a vite fait chaud. Derrière des projections vidéos, des machines en quantité, des guitaristes, un pianiste, une violoniste-trompettiste, un bandéoniste de talent et un chanteuse qui met le feu à la salle. Sans tee-shirt mouillé. Vous ne verrez pas de photo de ce mémorable concert, sinon celle-ci, prise une heure avant. Toute prise de vue était strictement interdite. Comme je me suis germanisé, j’ai bêtement obéit, pour m’apercevoir qu’en bonne part du public n’en avait cure (non, pas le groupe), en usant es téléphones portables, voire de véritables appareils photos. Il est vrai qu’il était en partie composé de Français.



Et à ce moment-là, qu’est-ce que vous avez fait ? Je suis rentré chez moi, laissant les noceurs danser, emmenant avec moi une belle musique qu’ils n’auront pas, ou plus, là-bas.

*

Poire pour la soif, deux vidéos de deux concerts, bien plus anciens (Triptico et last tango in Paris)




2 commentaires:

  1. Allons, je suis sure au fond que tu regrettes amèrement d'avoir manqué le "Männer Abend", je te rassure donc : ce n'est que partie remise. Je suis absolument certaine qu'il doit y avoir plusieurs fois par an de ces soirées fortes en testostérone... Il faut par contre que je perde cette fâcheuse habitude de cliquer sur les liens AVANT de lire les articles : cela m'aurait permis de ne pas avoir cette horrible musique sur mes variations Goldberg...snif, quel gâchis !!!!

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  2. Si tu as réussi un mix Schlager/Bach, ce devait en effet être surprenant... Une idée d'avenir pour les DJ de la Kultfabrick?

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