dimanche 28 mars 2010

Un printemps à Berlin

La carcasse blanche de l’ICE 1608 qui file vers le nord brille au soleil. Le printemps est là, enfin, mais le général hiver, bien que défait n’a pas encore complètement disparu. À une journée où l’on se dore sur une terrasse en bras de chemise peut succéder une nuit glaciale qui vous oblige à porter une écharpe et des gants. Le long des voies, dans les forêts et les coteaux que traverse la voie ferrée, la nature est encore endormie. Les arbres nus et noirs sont plantés dans une herbe grise, beige, couchée par la neige qui vient juste de se retirer. Comme en montagne, la sortie de l’hiver est ici progressive et ce pays est encore comme un vieil homme gris, ridé et écorché, qui craint que les coups ne viennent à nouveau à pleuvoir. Il faudra une ou deux semaines pour que les premiers bourgeons et les premières fleurs n’apparaissent timidement dans les endroits les plus exposés au soleil.
Un prétexte professionnel m’attire vers Berlin et dans l’ICE qui traverse désormais l’ancienne Allemagne de l’est. La tristesse hivernale y est accentuée par les innombrables friches industrielles qui longent les voies, usines de briques rouges ou de béton abandonnées, clôtures défoncées, murs éventrés et tagués, toits effondrés, amas de tôles, de bidons et de carcasses de toute sorte. La vie industrieuse s’en est retirée, laissant se décomposer le squelette de l’économie du dinosaure RDA, et voici les « paysages fleuris » promis par Helmut Kohl il y a 20 ans. Bienvenue au pays du chômage et de la désespérance ! Qu’elle est loin la prospère et grasse Bavière…

Berlin porte aussi les mêmes cicatrices. En bien des endroits elles sont même plus anciennes, tels ces sortes de parcs en friches qui abritent encore des ruines vieilles de 65 ans. La ville est, comme le dit son maire « pauvre mais sexy ». L’histoire, bien sûr, est là, partout, en premier lieu avec la porte de Brandebourg, écho de la Prusse du XVIIIe siècle, des triomphes du Reich, des guerres civiles, des errements de la Seconde guerre mondiale, de la coupure de l’Allemagne en deux, et j’en passe. L’histoire est là dans le Reichstag, que l’on s’étonne de voir debout, l’histoire est là dans les innombrables musées, dans les traces du mur, dont bien des morceaux sont debout, et aussi, non loin de la porte de Brandebourg dans ce champ de pierre, ce mémorial dû à Peter Eisemann, dont la forêt grise et sombre des 2711 stèles muettes veut faire écho à la Shoah.

L’histoire se lit aussi dans la structure de Berlin et de ses transports. La ville est encore éclatée enter ses anciens quartiers, ceux de l’ouest plus luxueux, ceux de l’est longtemps en dégradés, mais investis par la jeunesse, les immigrés de toutes origines et un underground effervescent. Ils sont en voie de boboïsation accélérée – ce qui ne les rend pas désagréables à mes yeux. Il y a des trams à l’est, pas vraiment à l’est, et le no man’s land qui séparait les deux villes est encore loin d’être rempli par les constructions. Le long de la Spree, qui traverse la ville, les monuments en mémoire des Allemands tués en tentant de franchir la frontière se succèdent. Peu de villes portent ainsi les stigmates du XXe siècle et laissent ainsi à penser.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire