Alix n’est certes pas la Bande dessinée francophone la plus lue ici, mais elle y est traduite et diffusée. La mort, la semaine passée, de son auteur, Jacques Martin, n’a pas suscité les mêmes échos que les cinquante ans d’Asterix. Mais voilà, avec cette disparition, c’est une passion de ma jeunesse qui s’en va. Alix est une des premières série que j’ai lues, tout enfant et celle qui, avec Blake et Mortimer, m’accrocha alors le plus. Je me suis toujours demandé si elle n’avait pas joué un rôle dans mon choix de faire de l’histoire, l’histoire de l’Antiquité, sans pouvoir bien sûr y répondre.
J’ai donc beaucoup lu, beaucoup acheté, énormément relu. Aujourd’hui encore cette série garde pour moi beaucoup de charme. Le choix de l’époque est pour beaucoup dans le succès de la série : la lutte entre César et Pompée, à l’échelle de la Méditerranée, offre un répertoire presque inépuisable de situations mouvementées. Jacques Martin a sans doute beaucoup lu, il s’est beaucoup documenté et c’est un dessinateur sérieux. Naturellement, aujourd’hui, je vois les défauts, les bévues, les erreurs grossières, les impossibilités, etc. Mais il y a en a moins que dans d’autres BD dites historiques. Le dessin est à coup sûr académique et il s’est rigidifié, au moins dès les années 1980 ; cela en devenait au fil du temps de plus en plus gênant. Les dessinateurs que dû engager Martin, devenu aveugle, ces dernières années, étaient encore moins à la hauteur et le caricaturaient. Mais ce dessin s’associait bien avec le sérieux de l’affaire : Alix n’est pas une pochade. Ce sont des petits romans d’aventure populaire. Martin avait le sens du récit, du rebondissement. Ses meilleurs albums étaient de véritables tragédies. C’est sans doute les histoires qui ont fait d’Alix une BD si populaire. Je parierais qu’elles lui permettront de se vendre bien longtemps après la mort de Martin. Au fond, une bonne BD, c’est avant tout une bonne histoire. On passera alors sur l’académisme du dessin, sur le conformisme de certaines situation, sur l’absence, au moins au début, des femmes comme personnages centraux, etc.
Sur ce dernier point l’explication est bien plus simple que la rumeur ne le veut : Alix paraissait dans le journal Tintin, une publication « pour la jeunesse » comme on disait alors. Dans ces journaux-là, on dessinait pas de jeunes femmes, et encore moins de jeunes femmes nouant une relation sentimentale avec un jeune homme. On flanque donc le héros masculin d’un autre compagnon masculin, ici Enak. Mais cela permis à nombre de jeunes gays de fantasmer sur la relation Alix-Enak. Pour ma part, j’aurais volontiers été très vite débarrassé du boulet Enak, ado geignard et maladroit qui semble n’être là que pour faire capoter les plans d’Alix. Mais laisse tomber ce nunuche et va courir l’aventure ailleurs !
Ce qui faisait la qualité d’Alix, le scénario, est devenu sa faiblesse depuis 20 ans environ. Les derniers albums d’Alix, de même que les séries parallèles, comme Orion, étaient tous plus catastrophiques les uns que les autres. Cela vous tombait des mains. On se demandait comment Martin a pu produire des histoires aussi faibles, voire, assez souvent, idiotes. La vieillesse peut être un naufrage également pour l’esprit et il aurait sans doute fallu s’arrêter. Pour moi, ce n’était plus Alix. Mais cette fois-ci, il est vraiment mort.